© Blandine Soulage

Puisque « Pauline Bayle n’a pas peur du combat » selon « Le Monde », c’était une très belle opportunité qu’offrait la Scala à celles et ceux qui avaient manqué, malgré ses nombreuses tournées et son grand succès public et critique l’« audace radicale » de son diptyque homérique vantée par les Inrocks. Si audacieux en effet de faire jouer les hommes par des femmes et inversement (car c’est bien connu, dégenrer rime automatiquement avec déranger et permet d’écrire de nobles notes d’intention), si périlleux de briser provisoirement le quatrième mur en commençant le show dans le hall de la Scala, là où une galerie d’ampoules veillent comme des servantes sur un public en nage qui fait entendre haut et fort, par-delà son engagement héroïque dans la bataille qui l’attend après cette scène de recrutement inclusif, son envie irrépressible de s’asseoir. Il prendra alors place devant deux panneaux en bois qui, dans le lignage d’un Thomas Jolly qui accompagnait d’ailleurs la jeune metteur en scène lors de la dernière cérémonie des Molières, indiquent pour le public moins averti la liste des protagonistes, troyens et grecs. 

Réitérant l’idéal populaire de son complice, qui passe par une transitivité exacerbée des paroles et des images, Bayle s’écarte toutefois de sa générosité spectaculaire en préférant un pseudo-minimalisme qui finit par être éclipsé par un détournement de matériaux rudimentaires (bâches de Kraft humanisées, paillettes humidifiées, peinture rouge qui suggère très audacieusement la violence…), artisanal certes, mais parfaitement inutile. Constat d’échec inavoué, exhibant la limite d’un théâtre qui n’a que l’efficacité pour régime d’intelligibilité. Malgré une scénographie bien pensée, utilisant le simple découpage des espaces par la lumière pour dynamiser habilement l’action, le texte est souvent déblatéré sans nuance, en duo ou en chœur, par une troupe d’acteurs inégale (cela pouvant s’expliquer par la redistribution du spectacle depuis ses belles heures au théâtre de la Bastille, mention spéciale toutefois pour Mathilde Méry qui est un.e Achille stupéfiant.e.) Pauline Bayle fait alors de la théâtralité épique une pure aventure factuelle en oubliant tous les tremblements que le récit offre au sens historique. Renonçant à captiver par la force des images mentales, elle emprunte toutes les guignolades obligées par cette injonction populaire, allant du burlesque ranci et poussif pour humaniser la compagnie olympique jusqu’à l’éternel morceau de rap (très râpé ici, n’arrivant pas au talon du « Thyeste » de son camarade.) Si Peter Brook évoquait les sublimes images persistantes du théâtre brut, aussi dérisoires que des « arbres en carton », Pauline Bayle croit avec trop d’assurance que la magie du théâtre opère toujours quand il se dénude, et lorsque ses comédiens plongent dans la boue des seaux noirs pour en extraire de l’or, on est gêné par l’outrecuidance de la métaphore.