Chairs tremblées

Botero en Orient

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Lorsque l’on pense au peintre Botero nous viennent immédiatement des images de personnages ronds et volumineux, peu conformes aux standards de beauté actuels. Celui-là même qui disait que « l’art est toujours une exagération » n’a cessé de glorifier d’autres formes de sensualité, conférant souvent une inquiétante étrangeté à ses modèles.

Inspiré par l’artiste colombien, Taoufiq Izeddiou fait le pari de la rencontre entre des corps de danseurs aux formes rondes, loin des corps classiques de la danse contemporaine, et d’une musique aux sonorités orientales et africaines. Le chorégraphe marocain met ainsi en présence deux cultures distinctes, qui partagent pourtant dans leur rapport au corps une distance avec cette sensibilité occidentale qui voue un culte à la minceur depuis plus d’un siècle.

Ce mélange des cultures aurait pu être quelque peu vertigineux si l’on s’en tenait au titre assez explicite de « Botero en Orient », qui nous fait rapidement saisir l’argument initial du spectacle ; mais la chorégraphie s’émancipe tout autant des peintures colombiennes que du cliché des danses et musiques orientales. De Botero lui-même et de l’Orient, finalement, nous ne trouverons pas grand-chose hors des stéréotypes qu’on peut leur assigner, mais c’est tant mieux. Surgit alors, passée l’écume des références, un univers bercé aussi bien par des rythmes électroniques que par de la pop nostalgique américaine, habité par des personnages tour à tour en lutte avec eux-mêmes et dans la célébration de leur liberté de mouvement. L’ambiance visuelle elle-même semble échapper à toute connotation comprise dans le titre ; parfois, quelque chose du surréalisme de Magritte ou des représentations fleuries de Frida Kahlo affleure au gré d’un costume ou d’un éclairage.

Les corps des danseurs semblent ainsi se déployer dans un univers intrinsèquement leur, en réalité bien loin des mentions culturelles auxquelles il aurait fallu les rattacher au premier abord ; des corps libres sortant de l’astreinte de la minceur et du lisse, qui nous font renouer avec une expressivité plus primaire et peut-être plus viscérale. Quelque chose de la transe s’installe dès lors, rythmé par une voix proférant des injonctions liées à la vie quotidienne, contre laquelle les danseurs ne cesseront de combattre par une démonstration de chairs et de gestes qui s’extraient de toute régularité. La chair volumineuse qui tremble et s’assume au gré de la musique jusqu’à devenir une matière à part entière, dont les métamorphoses et les variations semblent détachées du corps lui-même, voilà l’expérience forte que nous fait vivre « Botero en Orient » et qui renouvelle notre regard de manière inattendue.