Laboratoire public

Opening Night

Opening Night ©Simon Gosselin

Cela s’appelle « Opening Night », et c’est peut-être le seul défaut du geste : faire croire au public qu’il vient se nourrir des souvenirs d’un film et des yeux de sa star, Gena Rowlands. Avant d’entrer, il est donc conseillé de tout oublier du cinéma, de ses afféteries, du film et de sa légende. Seul reste ici de Cassavetes sa méthode. Ou bien la recherche de celle-ci, car c’est cela que l’on vient voir : l’artiste au travail, en quête de ce naturel que la scène ne peut que singer. C’est ici d’ailleurs que la brisure arrive, et que la fracture opère avec le fantôme du réalisateur, dont certains sont en chasse. Alors que Cassavetes donnait à voir le travail d’un orfèvre invisible qui mettait au centre de ses bijoux les pierres qu’étaient ses acteurs, Cyril Teste vient avec humilité se montrer à son public pour dévoiler l’œuvre d’un homme à la recherche de sa méthode, et les tracas de comédiens pour qui avec le temps il est devenu « difficile de communiquer une émotion qui soit sincère ».

Partant de là, comment faire œuvre, et non seulement « laboratoire », ainsi qu’il est indiqué sur le programme de salle ? C’est peu dire que la métathéâtralité est périmée, et qu’il est devenu difficile de justifier l’intérêt d’une pièce de plus venue nous parler du théâtre en train de se faire. Si cela fonctionne, c’est donc que la grande intelligence de Cyril Teste tisse son filet de la corde du sensible dont l’artiste est bâti pour montrer à son public une pièce chargée des hommes qui la font. De ce plateau, revêtu du blanc qui recouvre les malheurs non dits et offre un horizon à ceux que la tristesse du temps aura plongés dans le coma, ne reste que le noir qui l’entoure et engloutit tous les espoirs de cette femme qui « avait dix-sept ans » et qui se meurt de ne plus les avoir.

Ici alors arrive Adjani. Et la mise en abyme a beau être lourde, comment faire pour ne pas succomber à la beauté du malheur de cette actrice hors du temps et du monde, qui « veut être amoureuse » mais dont le moment est passé pour ne plus laisser place à aucune autre possibilité que d’être elle-même ? Une comédienne de légende ici enduite d’un glacis agnès b. qui peine encore, quinze ans après, à recouvrir le velours frappé de la reine qu’elle fut alors. Dans ses yeux se trouvent tout à la fois la connaissance de son être et la tristesse que ce savoir charrie, auquel vient se mêler l’innocence de celle qui supplie son bourreau de lui laisser accomplir un dernier tour de piste. C’est fascinant, tant à l’instant où son visage se tourne vers nous Cyril Teste parvient à faire du théâtre ce qu’il est fondamentalement pour ceux qui l’acceptent en tant que performance : un endroit où la vie reproduite devient plus forte que son sujet. Comme une vie au carré. Un moment d’abyssale détresse où nous ne pouvons plus rien faire que de regarder rougir les yeux de nos voisins et assumer enfin notre fascination pour tout ce qui reste : l’agonie permanente du temps passé.

NB : spectacle vu à l’occasion de sa création française, au CDN Angers-Pays de la Loire.