Rétablissons la confiance

£¥€$

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Après être apparus dans le OFF en 2016 avec« Fight Night », les Flamands du collectif Ontroerend Goed ont cette fois fait le saut vers le IN avec un autre de leurs projets participatifs :« £¥€$ », grand casino débridé qui nous amène dans les profondeurs grisantes de la finance internationale.

C’est dans un sous-sol sombre de la Chartreuse que nous descendons au compte-gouttes, accueillis par des hôtes qui nous installent un par un dans un ballet réglé. Le placement est libre sur le billet, mais l’endroit où nous atterrissons a son importance : il ne s’agirait pas de tomber dans le mauvais paradis. Car c’est bien ça que sont les tables de croupier qui constituent le décor de« £¥€$ » : des paradis fiscaux, des îlots où l’argent coule à flots et où la dépense entraîne le gain.

La partie commence, les règles sont énoncées par les comédiens/croupiers. Chaque spectateur est une banque, dont le succès en affaires participera à l’économie de sa nation. Il faudra d’abord acheter sa mise de départ avec son propre argent, en espèce sonnantes et trébuchantes (que le croupier vous rendra à la fin de la représentation, rassurez-vous). Puis s’ouvrent les marchés et commencent les mises, les paris, les piles d’argent se mettent à gonfler, et on se régale alors de s’enrichir en voyant s’appauvrir nos concurrents. Les banques croissent sur le dos de celles qui coulent : c’est l’ordre du monde que nous jouons aux dés, avec un plaisir grisant qui ne cessera pas durant les deux heures de la représentation.

Cependant, réduire cette proposition à un simple jeu ne serait pas lui rendre justice. Car au-delà de son grand aspect ludique, c’est avant tout un spectacle très précisément écrit qui nous est présenté, avec non seulement un message précis – celui que la finance est un jeu sans vergogne alimenté jusqu’à la déraison par l’ivresse du gain, message un peu didactique mais qui ne tombe cependant jamais dans une charge militante qui stériliserait l’expérience –, mais également un admirable travail d’espace et de rythme. Car nous ne demeurons pas penchés sur nos tables, en ignorant le reste de la salle : nous sommes régulièrement interrompus par les analystes financiers, qui nous font alors un point sur la bourse, sur les notations de chaque table, et sur le cours de l’argent. Des bulles d’air salutaires, qui nous rappellent que le jeu est encore mené par des acteurs, qui relèvent tous brillamment le pari du hasard, en se tenant avec une grande justesse dans leur rôle face à des spectateurs tantôt déjà ivres de gains, tantôt décontenancés par la dimension de leur implication. Avec un humour pince-sans-rire, toujours ravageur, le jeu finira par basculer dans une dystopie où les sourires rassurants des banquiers cachent la mort de la confiance et le repli sur soi. Les bulles éclatent, et c’est dans une panique générale audible que chacun essaie alors de sauver sa peau en jetant ses voisins par-dessus bord. Aux plus malins les moindres pertes, et tant pis pour les autres.

Puis, une fois le jeu terminé, on applaudit fort et serre la main de ses voisins. Et si l’on ne peut savoir si la confiance est rétablie, on aura au moins repris un peu conscience de nous-mêmes.