(c) jigsaw – oeuvre de Claire Williams, “Zoryas”.

Sous la grande nef métallique du studio national du Fresnoy, on prend le pouls de la jeune garde artistique contemporaine à l’occasion de l’exposition Panorama. Ce rendez-vous annuel présente les résultats des recherches accomplies par ces artistes durant l’année écoulée dans cette pépinière, propice aux expérimentations et aux explorations les plus diverses.

Derrière la grande variété des médias et des sujets abordés, des lignes de force se dessinent, que le commissaire invité, Jean-Hubert Martin, a bien mises en avant. S’il a décidé d’intituler l’exposition « les Revenants », c’est pour souligner qu’il y a quelque chose de la hantise et du spectre dans les œuvres : hantise de thèmes immémoriaux, comme le soleil ; fantômes d’un passé douloureux, dans une approche postcoloniale ; esprits avec lesquelles on cherche à communiquer ; mais aussi traces déjà archéologiques d’un capitalisme tardif dont on déterre les déchets. Ainsi l’artiste-professeure Félicie d’Estienne d’Orves renoue avec l’exploration de la ligne d’horizon, mais en imaginant un coucher de soleil sur Mars, accompagnée d’une musique d’Éliane Radigue, une des pionnières de la musique électronique ; Camila Rodríguez Triana créé un rituel de guérison dans son installation Resiliencia, en détournant des livres sur la colonisation de l’Amérique, sur lesquels elle a brodé les noms de ses ancêtres avec du fil d’or ; Félix Luque et Iñigo Bilbao, avec Junkyard, s’intéressent aux épaves de voiture accumulées pour explorer la société de consommation et son pendant désormais, l’anthropocène.

Venus d’ici et d’ailleurs, les artistes témoignent d’un intérêt et d’une inquiétude par rapport aux enjeux contemporains. On est d’ailleurs accueilli, à l’extérieur, par l’œuvre d’une autre professeure invitée, l’écrivaine Annie Zadik, composée d’extraits de son nouveau livre, Contemporaine, qui défilent sur un écran alors que l’on s’apprête à monter le grand escalier. Les mots et les peurs dont ils sont porteurs s’égrènent, peurs auxquelles tout le monde peut s’identifier, et l’ensemble est comme une épigraphe pour l’exposition à venir.

Les artistes des promotions Michelangelo Antonioni et André S. Labarthe ont ainsi pris pour beaucoup le pli du « tournant anthropologique » qui décentre l’être humain pour lui infliger une quatrième blessure narcissique, à la suite de celles infligées successivement par Copernic, Darwin et Freud. Dans cette optique, l’être humain doit être replacé dans une série de relations avec les autres vivants, qu’ils soient animaux ou végétaux, où il n’est qu’un élément parmi d’autres. Le mexicain Juan-Pablo Villegas, avec D’après le jardin, propose ainsi une installation sonore à l’intérieur des serres du Jardin botanique de Tourcoing, où le visiteur est invité à se promener en écoutant plusieurs pièces sonores faisant référence au « grand orchestre de la nature ». L’iranienne Yosra Mojtahedi a réalisé de son côté une sculpture surprenante, Vitamorphose, réunissant des formes organiques et minérales, qui instaure une relation corporelle avec le spectateur et interroge les notions d’inerte et de vivant.

Au-delà de ce goût pour l’interspécisme et du brouillage des frontières entre nature et culture, signes des temps, ce Panorama révèle aussi le regain d’intérêt pour les liens entre art et science, et la prise en compte de l’œuvre comme outil heuristique. Les protocoles de recherche sont pris en compte dans la présentation finale, comme dans l’installation et le film de Pierre Pauze, qui investit la thématique de l’eau et des ondes et a travaillé avec des laboratoires pour Please Love Party.

Mais s’il est louable de prêter attention à des éléments souvent négligés, comme le fait Hadrien Téqui en s’intéressant à cet être vivant unicellulaire, d’apparence visqueuse et de couleur jaune, popularisé sous le nom de « blob », certaines œuvres, comme dans ce cas-là, pêchent par leur manque de traduction poétique et sensible, et restent trop à l’état de dispositif laborantin, difficile à appréhender autrement qu’avec la curiosité que l’on affichait, enfant, pour les parcours au Palais de la découverte.

Avec Amphitheatrum Sapientiae Hermeticum, Thiago Antonio réussit cependant cette alchimie entre étude des phénomènes scientifiques de l’univers et récits cosmologiques, en mettant en scène des mobiles en verres soufflés dans une sorte de théâtre mécanique, et atteint ainsi l’intellect par les sens.

Le Fresnoy se caractérisant par les mises en avant du numérique et des nouvelles technologies, nombre d’installations questionnent également notre relation à celles-ci. Elles s’inscrivent dans la problématique actuelle de « comment habiter le monde », et s’inspirent des travaux de Donna Haraway et de Bruno Latour, qui tendent à supplanter Deleuze ou Rancière dans les discours et autres paratextes en art contemporain… Cindy Coutant, actuellement doctorante en création, s’interroge sur « les traces d’accouplement et d’échanges infectieux » à travers la relation des objets techniques avec l’environnement ; Thomas Depas, dans Princess of Parallelograms, explore l’intelligence artificielle et plus particulièrement le deep learning et l’eye tracking; Vincent Pouydesseau met l’accent sur les supports de communication qui transforment notre paysage, avec une installation interagissant avec les champs électromagnétiques, perturbés par la présence du public.

Si toutes les œuvres méritent une attention particulière, leur grand nombre a nécessité cependant une sélection, qui met malheureusement aussi de côté les productions filmiques, pourtant elles aussi foisonnantes. Il faudra alors venir et revenir voir ces Revenants.