The Raft, le radeau de la paix

The Raft, le radeau de la paix

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Rachel et Fatima sont sur un bateau, Babacar les regarde, Kazuki les filme : qui reste-t-il ? Les religions sont souvent premières au générique des responsables de guerre, puis vient le pouvoir, ensuite l’argent, l’ethnicité, et tout un tas de choses étonnamment humaines et communes.

C’est en découvrant un livre sur les cent plus étranges expériences au monde que le jeune réalisateur suédois et, il faut bien le dire, couteau suisse de l’art, Marcus Lindeen, a découvert la curieuse expérience de l’anthropologue mexicain Pr Santiago Genovès, à l’origine de ce film. « Durant l’été 1973, cinq hommes et six femmes partent en mer pour une aventure scientifique de cent un jours. Ils embarquent à bord d’un petit radeau, l’Acali, sur lequel ils doivent traverser l’Atlantique en se laissant dériver. Cette expérience […] a pour objet d’étudier les origines de la violence au sein d’un groupe. Les onze membres de l’équipage ont été choisis aux quatre coins du monde, afin de mélanger les religions, genres et les nationalités et d’augmenter les sources possibles de tension. » Quarante-trois années plus tard, Lindeen retrouve plusieurs participants de cette expérience hors du commun et décide de reformer l’équipage en studio, sur une reconstitution de ce qui avait été cruellement baptisé à l’époque le « radeau du sexe ».

Non plus un simple documentaire, « The Raft » se transforme alors en un voyage dans le temps qui nous plonge avec nostalgie dans la folie des années soixante-dix. Un temps où tout semblait possible, acceptable, et où la bien-pensance était régulièrement défiée par un profond désir de paix et de liberté. Nous, spectateurs de 2019, sommes soudain si « vieux » face à ces personnages tout droit sortis de Freedomland ! C’est en écoutant leurs confidences inédites quelque quatre décennies plus tard que nous découvrons avec surprise leurs sentiments les plus enfouis. Et quelle surprise ! Faire l’amour en plein océan sur un radeau mixte ? Bizarrement non. L’attirance ne naît pas forcément au milieu de la rareté et de l’isolement. Faire la guerre car une juive israélienne est en présence d’une Arabe musulmane ? Non plus. Chacun son rôle, et les chiens sont bien gardés, et puis il fait beau et tout le monde est si content de découvrir tant de nouvelles choses.

« The Raft » nous révèle que la violence ne jaillit pas d’où on l’attend. Les événements les plus difficiles à vivre sur ce radeau n’ayant en réalité rien à voir avec les pseudo-différences du groupe, mais avec des sentiments personnels éveillés par certaines situations. Le patriarcat, mettant en danger l’ensemble de l’équipage. La tristesse, réveillant les âmes des esclaves qui chantent depuis le fin fond de l’Atlantique. Naît malgré tout l’envie de tuer, l’élaboration d’un plan à plusieurs, visant à se débarrasser de l’instigateur même de cette aventure magique. Dans « The Raft », le dénominateur commun de la violence, c’est lui : professeur Genovès. Lui, si déçu de ne pas avoir trouvé la violence là où il l’attendait qu’il en tomba malade. Comme si la victoire sur la guerre n’avait plus d’intérêt pour lui ni pour l’humanité. En créant une atmosphère si confinée, Lindeen nous offre sur un plateau des confidences édifiantes sur la nature humaine. Serions-nous alors des êtres de lumière plus enclins à l’amour qu’à autre chose ? Et dire que si Hollywood ne s’empare pas de cette histoire, le monde et Jean-Luc Godard resteront persuadés du contraire.

 

Sortie en salles le 13 février.

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