Tisane Nuit tranquille

La Maison de thé

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« Évite à tout prix les croisières thématiques », proclame un personnage de l’« Odyssée » américaine de Daniel Mendelsohn, qui, voulant déconseiller à son ami un attrape-touriste « sur les terres d’Ulysse », critique par là même la mercantilisation des mythes et la folklorisation des périls maritimes. Force est de constater, comme nous le dénoncions dans une précédente tribune, que la métaphore thématique choisie par le Festival cette année se retourne souvent contre lui-même, son idéal éthique de vitrine internationale du théâtre supplantant encore une fois les épreuves esthétiques qu’il devrait nous faire traverser et justifiant ces dernières années la curieuse programmation de grosses machines dont l’intérêt relève, il faut bien le dire, de la pure curiosité muséale. Après le germanique « Lenz » grimpant en 2016 sur des montagnes russes, le « Tartiufas » labyrinthique de Korsunovas l’an passé, la « Maison de thé » de Meng Jinghui prend place dans une énorme roue de la fortune métallique (qui rappelle un peu les roues de la mort circassiennes), symbole très appuyé (qui ne sera malheureusement pas le seul du spectacle) du chaos social audacieusement dépeint par Lao She il y a soixante ans.

Le titre de ce grand drame populaire chinois, qu’on était ravi de découvrir, désigne une nostalgie « close » au sens de Jankélévitch (l’ancestrale maison de thé infusée dans le capitalisme) dont la reconquête permettrait de combler le manque, dans le lignage de nos plus intimes « cerisaies » et autres « ménageries de verre ». Mal connu en France, le théâtre chinois contemporain pouvait faire événement dans cette programmation trop sage, surtout parce que la matière qui nourrit le texte passionnant de Lao She retravaille l’imaginaire politique d’un cinéma que nous connaissons bien, notamment celui de Jia Zhangke, qui confronte la déliquescence des corps et de la signification à la permanence des montagnes et à la chorégraphie ironique des traditions. « La Maison de thé » de Meng Jinghui pose alors un défi épineux à la critique, tant notre regard européen est peu connaisseur de l’actualité scénique chinoise et ne peut mettre en veille son horizon d’attente postdramatique qui lui fait voir cette pléthore spectaculaire et ses transgressions grand-guignolesques (à grand renfort de postiches et d’animaux en plastique) comme une canaillerie d’un autre temps. Dire par ailleurs que ce régime spectaculaire est un contresens esthétique complet par rapport à l’objet dénoncé relève du poncif critique, tant on peine à comprendre pourquoi la réouverture tant rêvée de ce temple à thé passe par le braillement de noms de hamburgers et autres horreurs de fast-foods. La friction entre les codes traditionnels de l’opéra chinois (avec ses corps statiques et ses bouches hurlantes) et ce dantesque écrin métallique aurait pu façonner une politique spectaculaire très féconde, loin du naturalisme cinématographique qui habille nos épopées contemporaines, si l’absence de nuances et le surlignage satirique par l’adaptation (et la traduction) ne rendaient pas le propos totalement inaudible.