« A Bright Room Called Day » s’inscrit dans la tradition pirandellienne des pièces interrompues. Un dramaturge en quête de sens s’immisce dans son propre mélodrame historique, linéaire et édifiant, énième décentrement intime de l’ascension hitlérienne. Questionnant alors la vieille efficacité pédagogique du théâtre, ses avertissements naïfs et son dialogue impossible avec l’histoire, il superpose plusieurs strates temporelles comme contrepoints problématiques d’une fiction interdite : ce fil perdu des « temps auxquels nous n’avions pas pensé » qu’égratignait déjà Pascal Rambert avec « Architecture ». Cette énième histoire inquiète des xxe et xxie siècles, dont se saisit Catherine Marnas pour interroger la dramatisation des résurgences extrémistes, est aussi une histoire secrète de la modernité théâtrale. La pièce de Tony Kushner feuillette en négatif le grand livre de l’impensable, du drame romantique allemand (ranimé par cette mémorable scène méphistophélique qui clôture la première partie, temps fort du spectacle) au symbolisme maeterlinckien, jusqu’à cette dialectique brechtienne dont elle fait le procès et l’apologie. Maintes fois réactualisée depuis 1984, cette tentative d’écorcher le drame historique se révèle pleine de fulgurances et de lourdeurs, écueils auxquels n’échappe pas la mise en scène de Catherine Marnas, qui ravive, depuis son adaptation réussie de Nancy Huston, le fantasme d’une traversée.
Emporté par une belle troupe de jeunes comédien.ne.s (mention spéciale pour Gurshad Shaheman), le spectacle révèle poussivement son désir de faire dispositif. La scénographie de Carlos Calvo délimite schématiquement trois territoires fictionnels : une intimité berlinoise déréalisée par une perspective forcée (et des projections bleutées peu mystiques), une échappée musicale et pseudo-performative à jardin (menée par les interventions parfois embarrassantes de Sophie Richelieu), deux espaces menacés par le temps zéro de l’avant-scène, celui du contemporain et du laboratoire. Ne faisant pas dialoguer frontalement ces temporalités, au risque de raviver les heures brechtiennes de la fable parallèle, Marnas les conçoit heureusement comme des rebonds et trouve par là même une belle politique théâtrale. On se demande pourquoi celle-ci se referme dans la deuxième partie, repliée dans les murs fantomatiques de cette chambre berlinoise où les enjeux politiques et dramatiques se répètent laborieusement. Sur cette ligne blanche où l’on nous ordonne finalement de « quitter le théâtre » et d’« agir », toutes les rengaines obsolètes de l’art révolutionnaire reviennent au galop, et cette bright room prétendument énigmatique échoue à refaire de la chambre noire théâtrale une ténébreuse ligne de faille.