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C’est en l’honneur du réalisateur Franco Zeffirelli, décédé en juin 2019, que le Met décide d’adopter à nouveau sa mise en scène ultra luxueuse de « Turandot ». Le monumentalisme de la scénographie épouse parfaitement l’idée que l’on se fait communément des productions de l’opéra new-yorkais. L’ensemble est une machine à la fois dorée à l’excès et parfaitement huilée, habitée de surcroît par des chanteurs de renom : on sait donc que la formule fonctionne. Cependant, cette reprise pose deux questions dramaturgiques intéressantes.

Ce travail sur mesure, vieux de quelques décennies, met en évidence une esthétique polie, au sens de lissage visuel mais aussi d’extrême littéralité. Au pays de Disney, l’adulation des ouvrages de Zeffirelli interroge la portée de son héritage sur le reste des productions lyriques dans les pays anglophones — notamment vis-à-vis des musicals. Ce traitement marque un contraste assez radical avec la voie empruntée, outre-Atlantique, par plusieurs générations d’artistes européens ; il offre aussi et surtout, pour qui voudra regarder d’un peu plus près, un contre-point fort intéressant à la tendance minimaliste et symbolique de Bob Wilson qui fut, sans doute, une forme de réponse à cette débauche hallucinante de moyens. Pourtant, Zeffirelli reste, à sa façon, fidèle non seulement à l’esprit historique du genre opératique — qui réclame un spectaculaire à outrance — mais aussi à l’œuvre de Puccini qui s’aventure en dehors de la zone vériste pour explorer les dessous fabuleux d’une Chine fantasmée. Épaulé par des chorégraphies de Chiang Ching, le travail de Zeffirelli n’a ici presque rien à envier aux arabesques visuelles d’un Zhang Yimou. Entre outrecuidance du luxe et adhésion aux principes fondamentaux des enjeux esthétiques et économiques de l’opéra, la mise en scène du maître italien représente un classique incontournable. Il serait dommage de jeter au formol cette création par pure obsession du neuf, de la sobriété et de l’épure — qui ont pu se révéler aussi vains — ou par mépris du « bling » dont les effets kitsch dévoilent quelquefois une poésie inattendue.

Le second point porte sur le casting et, en cela, relève moins du geste artistique de Zeffirelli que de la responsabilité de l’institution — et en particulier de Peter Gelb à sa tête. Figure internationale, la voix de Christine Goerke éclabousse le public d’un pénible vibrato qui résonne de façon datée aux côtés de la plus fraîche Eleonora Buratto, magnifique dans le rôle de la servante amoureuse et martyr, Liù. Le choix de Goerke pour le rôle-titre fait sens pour différentes raisons mais pose de façon aiguë la question délicate et ô combien sensible du physique de l’actrice lyrique dont le corps tout entier est au service d’un portrait littéraire. Dépeinte comme beauté céleste, la longue attente de l’être quasi divin tombe presque à plat quand Turandot transparaît sous des traits et une voix lourdes. Le menton tressaillant, la bouche de travers, Goerke donne plus d’emphase au cœur de pierre de la princesse chinoise plutôt qu’à sa beauté et jeunesse légendaire. Sa technique rassemble bien trop d’efforts pour convaincre plus avant. En contraste, les airs de bravoure de Buratto ainsi que de Yusif Eyvazov (Calàf) sont autant d’oasis musicaux auxquels le spectateur peut se raccrocher sans aucun mal.