© Marie Pétry

Ce sera sans doute comme ça, un décor de boulevard après l’apocalypse. Le salon bourgeois ne sera plus qu’un tiers-lieu aseptisé. Les portes claquantes seront transformées en trous blancs infinis, donnant sur des chambres à coucher quantiques, peuplées de morts-pas-morts, et des baignoires remplies de soude. La « zone du dehors » (comme disait Damasio) ne sera plus délimitée par une toile peinte mais restera un cosmos obscur, d’où surgira peut-être quelque Christ en peine.

Avec « Variations (copies) », qui s’inspire comme sa parenthèse l’indique du tourbillon dramaturgique des Quatre jumelles, Théophile Dubus ne se contente pas d’écrire une énième fable post-apocalyptique. Il nous met au-devant d’une attraction théâtrale à venir, un peu comme Volodine imagine les spectacles grotesques du futur dans certains romans post-exotiques. Théophile Dubus n’écrit pas une fable d’anticipation mais anticipe un genre : le « vaudeville apocalyptique mâtiné de série Z et de soap-opera ». L’espace conçu par Quentin Bardou, où tout semble à première vue maniaquement symétrique alors qu’en fait tous les objets sont dissemblables, est la maison mère d’un drame qui repose sur la non-opposition des contraires, sur la réversibilité infinie des liens familiaux et des rapports de force. Au départ, le plaisir du spectateur est assez « culturel » car il a l’impression que le spectacle se joue parodiquement des formes vaudevillesques (un peu comme le « Jacques et Mylène » de Rassov) et de celles qui l’ont déjà moqué et transgressé au XXe siècle (comme “La Cantatrice chauve” et ses dînettes interminables). Sauf que très vite, on est forcé de s’abandonner sans repères au vortex de renversements invraisemblables qui devient la nouvelle loi, la nouvelle vraisemblance de cette dramaturgie du futur. De ce post-vaudeville où les humains ne sont plus que des « âmes en errance » incarnées sporadiquement par des corps, où le spectateur lui-même devient une machine androïdique forcée de s’identifier fugacement à des simulacres infiniment interchangeables.

Théophile Dubus a trouvé deux actrices à la hauteur du formalisme désopilant qu’il cherchait : Jeanne Bonnenfant et Blanche Adilon Lonardoni qui parviennent, à chaque moment, à ne pas dissoudre leur étrangeté fascinante dans la mécanique spectaculaire qu’elles initient elles-mêmes. Nous aimerions parfois profiter davantage des rares respirations, des rares intrusions du réel dans cet imbroglio effréné qui, à l’image d’une série Z, fait de chaque révélation non pas un événement tragique mais une péripétie rocambolesque qui régénère l’artifice dramatique. Mais là n’est pas l’ambition de Dubus, qui croque en négatif un monde déserté par l’humain, un « désert radioactif », un « enfer nucléaire » où le dehors n’est plus qu’un vaste champ de matière inconnue, qu’un réel qui cogne. Surface de projections abritée du néant, la boîte blanche où s’agitent Magde et Ludmila apparaît à ce titre comme un havre de simulacres, une fabrique inépuisable de réalités. Théophile Dubus va à l’inverse des Bâtards Dorés, qui cherchaient récemment dans « Cent millions qui tombent » à refaire percer le mystère du réel dans le vieux vaudeville. « Variation (copies !) » prend racine au contraire dans un monde impensable, un chaos informe où l’illusion théâtrale apparaît politiquement comme la seule puissance symbolique et transfigurante à même de surmonter l’insupportable fin des temps. Comme la seule caverne où survivent le double et la “copie”. Cette « Variation » constitue alors bien plus qu’une blague virtuose. Elles est un radeau burlesque et tragique à l’heure où le monde n’a plus qu’un choix, comme disait Volodine: « faire théâtre ou mourir. »