© Jean-Louis Fernandez

Il y avait un roi qui n’avait pas l’air si vieux que ça, tout feu tout flamme qu’il était, il y a à peine quelques années, dans la cour honorifique d’un illustre palais. Mais renvoyé à ses cheveux blancs par une fille qui déchire son patrimoine, voilà que l’herbe folle se met à errer dans une lande sèche, à la recherche d’une innocence perdue. Il convoite là-bas un corps primitif, extraordinaire, bestial, sans raison, sans morale. Un corps fou parmi le « grand théâtre des fous. » Un corps performant de bon vieux théâtre allemand, pour le dire sans langue de conte, celui que possède pour sa part le jeune Edmund (interprété par Christophe Montenez qui, à force de se regarder être bizarre, ne l’est plus trop). Et si cet Edmund fait beaucoup d’ombre à Lear (alias Denis Podalydès, qui désigne cérébralement la folie sans mettre les deux pieds dans son vortex) c’est que le jeunot a la chance de faire joujou pendant la représentation avec les masques d’argile et les grimaces bizarroïdes en gros-plan caméra (le roi lui a offert la panoplie halloweenienne du parfait acteur germanique mais, malheureusement, Edmund a trop joué à FIFA pour avoir la moyenne). 

Le roi sera-t-il en reste face au vilain garnement ? Sûrement pas, et on lui donne des subventions pour ça : un bel écran LED qui descend des cintres avec les projections mentalo-psychédéliques qui vont bien, un orage sonore à encirer la boule Quies, un micro beuglard avec lequel il interpelle  le cosmos. Mais voici que le fou (Stéphane Varupenne, pas assez fou lui non plus) fait chuter l’onéreuse kermesse en lançant au performer sénile : « On dirait du théâtre allemand des années 1980. » Quel sens de l’auto-dérision ce roi ! Qu’il est humble de saboter par l’humour les quelques remous pseudo-subversifs de son crépuscule. Car autour de ces petits moments de « folyyyyy » comme dirait sa progéniture Cordélia (à moins que ce ne soit Cordula, Cristina de son prénom ?), les images restent bien sages et bien scolairement paysagées. Heureusement que Kent, alias Séphora Pondi, est là pour tenir un peu plus ferme la couronne.« Les jeunes grimpent quand les vieux descendent » entend-on bien distinctement. « Non rien de rien…. » fredonne-ton en avant-scène. On aurait quand bien même aimé que ce “Roi Lear” soit autre chose qu’un documentaire allégorique sur l’errance d’un maître européen.