Dans la philosophie épicurienne, on considérait que les atomes chutaient dans un mouvement perpétuel et que l’inclinaison soudaine et inexpliquée d’un de ces atomes provoquait un entrechoquement de tous les autres qui formaient alors un corps.
Or, pour pouvoir faire advenir d’autres corps, il fallait que la mort les séparât afin qu’ils retournassent au vide et que, en s’entrechoquant derechef, ils donnassent naissance à d’autres corps. La fugue et l’éparpillement précèdent donc toute existence. Comme un écho lointain à cette vision atomiste du monde, Fanny de Chaillé convoque dix comédiens dont les corps et les voix s’entremêlent, se ramassent avant de s’éparpiller pour créer sur le plateau un microcosme universel. On se rassemble pour mieux se disperser et surtout pour permettre à mille autres vies, mille autres histoires de prendre naissance. Ainsi, quand la parole trouve à s’incarner en un comédien ou une comédienne et qu’elle prend corps sur le plateau, il suffit d’un éclat de voix ou d’un mouvement brusque pour que le récit s’interrompe et que les comédiens se débandent comme un vol de moineaux entrés par erreur sous la voûte étoilée de la salle Vitez. Avant de se retrouver. C’est dans ce mouvement perpétuel de fugue et de retrouvailles que tout prend sens.
De la même manière, les paroles se défient, les mots entrent en concurrence jusqu’à l’excès et se heurtent parce que c’est de ces heurts et de ce fracas hyperbolique que peuvent surgir de nouveaux mondes, même absurdes. Cependant les mots et les gestes ne se contentent pas, avec Fanny de Chaillé, de faire naître des histoires. Ils disent aussi, entre les lignes, ce qui est en train de se jouer. Il suffit qu’un comédien frôle de sa main les cheveux d’un spectateur pour que s’incarne en une fraction de seconde ce lien étrange et subtil que les comédiens tissent chaque soir avec les spectateurs.
A l’instar de ces jeunes comédiens, nous affirmons haut et fort que nous adhérons totalement au travail collectif, d’autant plus lorsqu’il met en jeu les principes mêmes du théâtre-éducation qui nourrissent tous ces ateliers théâtraux qui survivent à travers l’Hexagone et qui permettent à chacun de trouver sa place et de prendre un temps la parole avant de se fondre à nouveau dans le collectif (nous ne pouvons que conseiller à Fanny de Chaillé de se précipiter au merveilleux festival de théâtre et de danse lycéen des Didascalies qui se déroule, chaque année, dans la petite ville de Périgueux). Ces jeunes gens, à l’énergie débordante et pleine de vie, sont les porte-voix de toutes ces femmes et tous ces hommes qui ont eu la merveilleuse faiblesse de penser que tant qu’on sera capables de se rassembler dans des salles pour écouter des histoires qui ne sont chaque fois ni tout à fait les mêmes ni tout à fait autres, tout ne sera pas perdu. Car c’est ici qu’il faut nous parler.