Dans « Madame L’Aventure », Lionel Dray et Clémence Jeanguillaume mettent en scène un héros génialement foutraque perdu dans le capharnaüm de ses pensées, une sorte de Don Quichotte des temps modernes qui, malgré l’épaisseur de la nuit et des ténèbres, choisit de plonger dans ses Enfers.
Disons-le tout de go : il faut beaucoup de talent pour mettre un tel foutoir sur le plateau. Et il faut beaucoup d’esprit pour être capable de hisser un pauvre personnage tel que Jean-Pierre à la hauteur de sa légende qu’il écrit à coup d’esbroufe, de grands gestes et de poussières multicolores. Lydie Salvayre, dans sa lettre adressée à Cervantès vin intitulée « Rêver debout », craignait que « la carence en utopie de ceux qui nous gouvernent et qui se veulent réalistes ne nous accule au pire si aucun nouveau Don Quichotte ne déboule dans le paysage ». C’est chose faite : dans notre horizon bien sombre est apparu ce chevalier bancal aux béquilles aspirantes. Ce dernier nous avait pourtant prévenu : on ne trouverait aucune forme de cohérence dans son monde. Et pendant que nous nous obstinions à ne vouloir voir en Jean-Pierre qu’un alter ego un peu rêveur et mélancolique, lui disait adieu à la réalité. Alors nous l’avons suivi dans sa catabase onirique.
Dans le monde de Jean-Pierre, on ne traverse plus le Styx sur une barque mais Charon est femme, et son embarcation, un vieux tacot. Même s’il ne chaussera jamais ce heaume posé sur l’avant-scène, notre chevalier brimbalant sera à tour de rôle fou, roi, reine et cheval. Entre rêve et réalité, Lionel Dray et Clémence Jeanguillaume nous entraînent dans un univers performatif où Olivier de Sagazan et son argile ne sont jamais bien loin, où les couleurs fusent et jaillissent dans un nuage de silice, où l’on oublie pour un temps le cadre de la réalité et où l’on écarquille les yeux, la bouche grande ouverte, devant ce Chaos sonore et visuel fascinant, comme des enfants émerveillés devant un feu d’artifice. « Madame l’Aventure » est de ces spectacles dont on se souvient longtemps, car ils laissent en nous la sensation vague et pourtant entêtante d’avoir assisté à quelque chose qui dépasse le cadre de la performance pour atteindre l’essence même de la vie, dans tout ce qu’elle a de formidablement horrible et de tristement fabuleux.