© Jörg Baumann

La metteuse en scène et autrice japonaise Satoko Ichihara présentait au T2G « Yoroboshi : The Weakling », adapté d’un conte japonais qui avait fait l’objet d’une réécriture par Mishima dans ses « cinq nôs modernes ».

Le spectacle est présenté comme étant inspiré du bunraku, un style traditionnel japonais de marionnettes. Il en respecte la structure : les manipulateurs sont à vue, un unique narrateur prend en charge les voix des personnages et les commentaires, une musique instrumentale sur scène accompagne la représentation. Mais la réalisation technique du jeu de marionnettes peut frustrer. Un seul manipulateur par marionnette, recouvert d’un collant couleur chair, et dont le jeu ne permet pas d’animer les marionnettes des différents personnages du conte. L’intérêt du spectacle est ailleurs. De la structure du bunraku, Satoko Ichihara met en valeur avant tout le rôle de la narration, portée ici par la merveilleuse Sachiko Hara. Rôle dont la centralité était soulignée par l’absence, contingente à cette représentation, du musicien de biwa, sorte de oud japonais. A l’avant-scène, dans ses atours d’une reine de la j-pop, Sachiko Hara déploie toute une gamme de registres affectifs, de la simplicité morale d’un agent de circulation à la mauvaise foi furieuse de la belle-mère surprise au moment de l’inceste qu’elle commet sur son beau-fils, et tout en revenant sans cesse à sa position de narratrice du conte. Ainsi, au cœur du spectacle, ou plutôt à son avant-scène, s’en joue un autre. Face à la performance de Sachiko Hara, on se demande par où passe dans ce corps, contraint à la posture assise quasiment tout le long du spectacle, ce travail de polymorphisme de la voix ? Principalement par les doigts, dans la tonicité croissante ou défaite de la main.

Le spectacle s’éclaire dans ce rapport entre le jeu minime, très restreint, des mains de la narratrice, et la scène où marionnettes et manipulateurs trouvent leur sens, s’animent sous les modulations de la voix de la narratrice, que doublent les notes tout en suspension et distorsions du biwa. On peut y rapporter un passage tout aussi éclairant dans ce très court et dense texte de Kleist, « Sur le théâtre des marionnettes », sur lequel s’appuie souvent l’analogie entre le jeu de marionnettes et le jeu d’acteurs : « les mouvements des doigts sont au contraire dans un rapport assez subtil à celui des poupées qui y sont attachées, à peu près comme des nombres à leurs logarithmes ou de l’asymptote à l’hyperbole ». C’est l’expressivité humaine de la voix de la narratrice, ancrée dans le corps par son doigté, qui nous permet à la limite, de façon tangentielle – ou asymptotique dirait le mathématicien – d’être emporté et travaillé par la représentation hyperbolique de la violence, de l’inceste, de la pulsion tour à tour destructive ou assimilatrice du désir que permet le détour par le corps désarticulé et inanimé de la marionnette.