(c) Tine Declerck

Meg Stuart et Tim Etchells, deux figures majeures de la scène contemporaine, allient leurs pratiques respectives pour créer « Shown and Told », une performance unique à la croisée des disciplines, entre danse et écriture, texte et mouvement.

Stuart, chorégraphe américaine ayant travaillé avec sa compagnie Damaged Goods entre Berlin et Bruxelles, et Etchells, écrivain et directeur artistique de Forced Entertainment, appartiennent tous deux à une même génération, ayant débuté dans les années 1980 et marqué les esprits par leur radicalité. Ce spectacle montré en 2017 au Festival d’automne est de nouveau présenté à Londres à l’occasion des 40 ans de la compagnie Forced Entertainment.

Ils cohabitent l’espace scénique comme un studio de répétition, de manière naturelle, car l’enjeu n’est pas de sur-scénariser mais de montrer deux artistes, deux disciplines à l’œuvre presque comme une étude d’observation. Stuart souligne cette dimension intime de la collaboration : « C’est moi sans traduction. C’est vraiment mon langage, mon monde, ma façon d’exprimer les contradictions, les questions, les doutes dans mon corps. » Le public est ainsi invité à découvrir le processus créatif brut et sensible qui se joue dans le corps de Stuart et dans les mots d’Etchells, comme une fenêtre ouverte sur leur monde intérieur. La scénographie est on ne peut plus minimaliste – il n’y a précisément rien d’autre qu’eux-mêmes –, laissant place à l’essence du dialogue entre les deux artistes. La performance se construit à partir d’improvisations en studio, où chaque élément, du geste à la phrase, est à la fois préparé et laissé à la spontanéité de l’instant.

Le texte d’Etchells, imprégné d’absurde et d’autodérision britannique, apporte une fraîcheur et une légèreté aux mouvements de Stuart, libérant la chorégraphe d’une théâtralité superflue. Quelques imperfections rythmiques apparaissent dans ce spectacle, mais elles font partie de l’expérience, où le public est là avant tout pour observer le travail. Il y a un moment où les artistes, tels des enfants luttant contre des monstres invisibles, détruisent symboliquement le monde ; un rire parcourt la salle, et l’on sent le public osciller entre la gêne et l’émerveillement, se demandant si ce qu’il voit est nul ou brillant.

« Shown and Told » est une exploration profonde de la manière dont le mouvement et les mots peuvent cohabiter. La pluridisciplinarité n’est pas une caractéristique du spectacle, c’est son sujet même. Tim Etchells explique : « Le point de départ, c’est la relation entre le langage et les images, le texte et le mouvement. Ce qui nous intéresse, c’est comment le discours et le corps, les images et le texte se traversent, fusionnent, échangent. » Cette exploration se traduit dans chaque scène où l’un s’exprime physiquement pendant que l’autre verbalise, créant une chorégraphie linguistique et corporelle où le spectateur observe la verbalité de la danse et le mouvement du parlé et comment l’un et l’autre s’influencent dans une dynamique de la poule et de l’œuf qui active nos sens et notre attention. On observe aussi une question fascinante : la recherche et le maintien de la bonne distance entre les mots et le geste. Quelle est la distance juste pour que le geste et les mots interagissent d’une manière qui ne soit pas littérale et provoque une friction fertile ? On observe encore les deux médiums dans leurs limites : il est une zone de la danse que l’écriture ne peut dire et inversement.

« Shown and Told » se révèle donc bien plus qu’une simple performance : c’est une expérience où la frontière entre mouvement et parole devient poreuse, et où la matière même du spectacle en constitue le sujet.