© Cabaret de Poussière x SAINT x Ozwalt20

Dans le ciel morne et furieux de ce mois de novembre 2024, on pouvait voir au Zèbre de Belleville dans une revue mensuelle quelques poussières filantes portées par les chansons du maître de cérémonie Martin Dust, de sa collaboratrice Clara Brajtman, et des invité.es de ce mois-ci : la chanteuse trans Lala Rami, Diva Beirut, et le danseur Valentin Beaufils.

« Chansons » pourrait paraître bien peu, mais quelques détails en font des moments scéniques particulièrement émouvants et combatifs, accompagnés de quatre musicien.nes dont le très joueur Edison Knight ce soir-là. L’ambiance électrique s’annonce d’emblée dans le rituel d’ouverture du cabaret dont le refrain, repris par une bonne partie du parterre, donne une tonalité fondamentale de ce cabaret : la colère. Colère puisée dans les tragédies et inquiétudes de l’actualité : génocide de Gaza – suivant les termes mêmes du Tribunal pénal international –, catastrophe des inondations à Valence, scandale de l’intoxication du thon au mercure, élection de Trump. Mais la colère ne fait pas une bonne chanson, et moins encore un bon cabaret. Pour cela il faut y ajouter quelques graines, ou peut-être quelques poussières apprend-on ce soir, pour la faire fleurir, fussent-elles des fleurs du mal. Répéter l’actualité ne la fait pas mieux percevoir, ne permet pas de mieux la combattre et la transformer. Il faut trouver un point de vue, se décaler, choisir, élaguer, balayer. Non pas forcément s’éloigner et partir ailleurs, mais disposer les choses de telle sorte que la colère puisse souffler, balayer l’injuste, et dévoiler la justice dans l’injustice. C’est tout le travail de Martin Dust, en particulier dans son jeu avec le public pour attraper la complaisance dans ce qui pourrait bien être une réunion de bonnes consciences. La poussière est un emblème de leur style, de l’humour acerbe et tendre de Martin Dust, et des rires qui tourbillonnent dans la salle. De petites particules déclinantes et vibrantes plutôt que le visage austère et moribond du maître de vérité.

Ce maître de cérémonie veille sur le spectacle, pour que les artistes y soient bien entendu.es et perçu.es, que leurs affects touchent et circulent. Pour cela il faut capter la bienveillance, l’écoute, la bonne disposition du public. C’est à un autre niveau que celui du jeu d’acteur, dont Brecht disait qu’il lui revient d’inventer le détail singulier qui à la fois émeut et instruit. Les apparitions de Dust ne visent qu’à s’effacer derrière l’apparition des artistes dans leur singularité. Ce serait donc moins qu’un détail, un infradétail, qui fait que l’on va être sensible aux détails. Marcel Duchamp, qui utilisait de façon assez proche le terme d’inframince, s’en fut déjeuner avec Man Ray un jour de 1920, laissant son Grand Verre sous le champ d’un appareil photo. À leur retour, l’appareil avait impressionné une photo, « Elevage de poussière » : l’apparition de quelques-unes, concrétion du temps passé à jouir de l’amitié, de l’esprit et de la bonne chère. En 2024, tragédies et inquiétudes s’amoncellent avec le temps, défiant la joie et ancrant la peur. C’est une autre formule qui est proposée ici, une levée de poussières intempestives.