S’inspirant d’un fait divers (le meurtre de son mari tyrannique par une femme qui dépeça le cadavre, avant d’en évacuer les morceaux un par un, pour les jeter depuis un pont dans des trains de passage), Marguerite Duras écrivit d’abord une pièce de théâtre, puis un roman, « L’Amante anglaise », qu’elle transforma ensuite dans une seconde version dramatique. Dans cette dernière forme, plus radicale (ni décor, ni costume), elle cherchait à faire théâtre des mystères de l’âme d’une meurtrière. L’amante anglaise s’articule ainsi autour de la personnalité de Claire Lannes, qui a commis le meurtre de sa cousine sourde et muette.
Au théâtre de l’Atelier, le rideau de scène s’ouvre entre les deux actes sur un plateau absolument dénudé, on a rendez-vous avec trois interprètes pour sonder les méandres d’une femme qui a tué : celle de l’interrogateur (Frédéric Leidgens), celle de Pierre Lannes, son mari (Grégoire Oestermann) et celle de Claire Lannes (Sandrine Bonnaire). Frédéric Leidgens est assis dans les premiers rangs, dos au public, il interroge dans le premier acte le mari, qui nous plonge dans sa version des faits : une maison, une cousine handicapée, un village avec des portugais. Le texte de Duras ne varie pas formellement dans le second acte avec la meurtrière, si bien que l’interrogatoire se ressert sur les motivations de ce meurtre incompréhensible. L’intérêt de la mise en scène épurée de Jacques Osinski réside davantage dans la performance de ses trois interprètes, d’autant que ce théâtre d’acteurs est souvent moins présent dans le théâtre public, où les metteurs en scène ont pris la quasi totalité du pouvoir.
« Moi aussi, je saurais jouer comme lui. Si j’avais vu un spectre, j’aurais fait la même tête et me serais comporté de la même façon (…) même si je ne suis jamais allée dans un théâtre à Londres, je l’ai souvent vu faire à la campagne, le roi est le meilleur acteur, il prononce bien clairement tous les mots, il parle plus fort que l’autre, tout le monde comprend tout de suite que c’est un acteur. » C’est ce que dit Partridge, en sortant du théâtre (Hamlet est interprété par Garrick, un acteur anglais du XVIIIe siècle). L’anecdote est racontée dans « L’Histoire de Tom Jones, enfant trouvé », le roman d’Henry Fielding, qui aurait inspiré « Candide » de Volaire. Les spectateurs admirent souvent les acteurs qui font les acteurs, admiration qui peut se déplacer de la prononciation claire du roi par Partridge à la transformation physique de Robert de Niro dans « Raging Bull » de Scorsese.
C’est le contraire qu’on a aimé dans « L’Amante anglaise », car il faut rendre grâce aux trois interprètes qui tirent les interrogatoires de Duras vers un jeu juste. Ils sont d’ailleurs trois exemples de diction instructives pour les écoles d’art dramatique : Frédéric Leidgens incarne une forme de distance brechtienne avec l’idée de personnage, il découpe chaque mot et chaque syllabe, jusqu’à prononcer-insister sur les dernières, notamment les « e » muets ; Grégoire Oestermann joue en creux, dans une forme de retrait, et même de dépression, sans jamais forcer le moindre sentiment (il faut saluer ici son immense talent peu commun sur les scènes contemporaines) ; Sandrine Bonnaire, dans un rôle plus complexe, puisqu’elle incarne la parole d’une âme dérangée, est un bel exemple de ce que peut produire la méthode de Lee Strasberg sur un plateau.