Deux interprètes en tenue de ville se placent en bord d’un plateau nu. Une simplicité radicale qui attire immédiatement l’attention sur l’essentiel : la voix, les mots, et les corps qui les portent. « We are good people. We are good people. You are good people. You’re good people. You’re bad people. »
Une litanie répétitive s’installe, fluctuant par de légères variations grammaticales et intonatives. Cela évoque immédiatement une partition parlée, quelque chose comme du Steve Reich transposé dans le champ théâtral. Chaque phrase, répétée encore et encore, se transforme imperceptiblement, mot par mot, pronom par pronom, ton par ton.
L’exercice pourrait sembler austère, mais il révèle une richesse insoupçonnée, propre au travail de la compagnie Forced Entertainment. La répétition laisse le temps d’appréhender les différentes couleurs émotionnelles et les multiples significations que peut prendre une même phrase. Une nuance dans l’intonation suffit à métamorphoser une déclaration en accusation, une caresse en coup. Cette approche transforme le travail même du comédien en sujet central du spectacle, où le langage devient à la fois matière première et moteur poétique.
Forced Entertainment nous confronte ici à la nature même du langage : sa capacité à catégoriser, définir, exprimer ou oppresser. Une simple inversion de structure grammaticale suffit à faire basculer les interprètes de figures bienveillantes à agressive, nous plaçant, nous spectateurs, dans un état de constante réévaluation. Les phrases, savamment choisies pour leur simplicité, leur polysémie et leur richesse contextuelle, ouvrent des mondes entiers malgré la nudité de la mise en scène. Chaque mot porte une histoire, une situation, un décor latent. Ce minimalisme absolu – less is more – révèle avec une acuité déconcertante les mécanismes du langage et la complexité de la nature humaine.
Dans cette écriture faite de reprises et de variations perpétuelles, on décèle des échos du travail de Christophe Tarkos, notamment dans sa façon d’extraire une poésie brute des livres de grammaire. L’ombre de l’Oulipo plane également sur le spectacle : la contrainte, ici, n’est pas seulement une règle, mais une source d’inspiration appliquée au plateau et à l’improvisation. Les phrases sont en mouvement constant, se déconstruisent et se recomposent, comme une danse linguistique où chaque pas est un calcul ou une surprise.
On garde quelques doutes néanmoins quant au travail sur la lumière, le son ou encore le mouvement qui apparaît plus tard dans la pièce. Dans un travail aussi rigoureusement essentialiste, ces ajouts semblent presque superflus, diluant légèrement l’impact d’une épure qui, à elle seule, semblait déjà parfaitement accomplie.
« If All Else Fails » est un exercice de déconstruction et de révélation, à la fois profondément ludique et terriblement sérieux, voire politique quant au discours, son arbitraire, sa versatilité et son pouvoir de destruction.