« Figures in extinction », qui réunit le metteur en scène britannique Simon McBurney et la chorégraphe canadienne Crystal Pite, augure évidemment le meilleur. Dommage que le médium du premier, le théâtre, comprime violemment celui de la seconde, la danse, qui n’arrive paradoxalement à s’exprimer que dans les (trop) rares instants où la théâtralisation systématique des séquences se retire, lui offrant une marge d’abstraction salvatrice. Comme quoi, l’addition de deux arts ne promet pas toujours de supplément d’âme.
En effet, dans ce triptyque monumental interprété par les virtuoses de NDT1, la danse est souvent réduite à illustrer l’incessant texte audio et vidéo : dans la première partie sur le monde du vivant, on s’écroule pour montrer le glacier qui fond, on mime une fleur qui s’ouvre pour figurer l’orchidée, on dessine une ligne de mains pour parler… du poisson-main ; bref, difficile de faire plus premier degré. Ça s’empire dans la deuxième partie, la plus maladroite : la danse n’est plus qu’une exemplification d’un vaste TedX en voix off, salmigondis sur l’état du contemporain par le prisme du cerveau humain. La troisième partie, qui théâtralise encore plus la danse, confirme au fond que McBurney n’a pas plus à dire à dire sur les vivants que sur les morts : les scènes à l’hôpital sont bizarrement mainstream, on se croirait devant un téléfilm, et l’homélie textuelle, que les danseurs cherchent pourtant à incarner le mieux du monde, enchaîne malgré elle les lapalissades : « mes ancêtres vivent en moi », « je suis relié à ma lignée », etc.
Or quand le théâtre se tait – plus de litanie, la danse est enfin maîtresse –, le vrai spectacle commence, le langage complexe de Pite se déploie, efficace dans les solos, magnifique dans les séquences de groupe ; et surtout, il ouvre un espace pour la pensée. Un poisson agonise en silence sous deux projecteurs Svoboda dans le premier mouvement ; une explosion dévastatrice décime l’hôpital dans le dernier mouvement, et on s’y passe aussi un linceul… À chaque fois la danse suggère et poétise ce que le texte aurait rationalisé et que la dramaturgie aurait recadré (à y voir l’usage abusif des téléphones pour forcer la marche du récit). Sans compter que les 23 danseurs de NDT1, quand bien même les coutures entre les séquences restent magistrales, sont évidemment plus performants dans leur médium d’origine que lorsqu’ils miment des scènes pseudo-dramatiques. À une exception, cela dit, et pas des moindres : celle d’un capitaliste en chef qui danse un discours nauséabond au possible, d’abord seul, ensuite avec deux pom-pom girls à tête de lapin. Seul personnage à revenir dans les épisodes, il prouve que le théâtre et la danse peuvent se sublimer l’un l’autre : dans ce cas, le texte est devenu l’objet de la danse, non pas son palimpseste. On regrette alors que le spectacle ne se divise pas entre des moments de cet acabit, extrêmement puissants – il y aurait presque un solo à faire avec cet avatar extractiviste –, et d’autres ou le théâtre aurait la modestie de suggérer sa dramaturgie plutôt que de la plaquer sur les corps et les surfaces ; car sans cet accoutrement explicatif embarrassant, « Figures in extinction », quand il navigue dans des sphères plus abstraites et sibyllines, a tout pour bouleverser.

