
© Pierre Planchenault
Il va sans dire que la performance de Sati Veyrunes, dirigée par Benjamin Kahn, est troublante et bouleversante. L’énergie et l’étonnante interprétation de la danseuse nous font plonger à corps perdu dans ce travail chorégraphique qui sonne comme un salutaire avertissement.
Tout commence dans un tourbillon de rires et de clameurs. Le corps, lancé dans un mouvement rotatif, tournoie jusqu’au vertige. Benjamin Kahn, en alternant des moments de rage et de douceur, bâtit une œuvre chorégraphique qui parvient à transcrire de manière visuelle les ondulations d’un cri. Le corps devient onde et réagit aux vibrations des basses profondes qui ébranlent la scène. Dans une performance ponctuée de poèmes, le chorégraphe invente une nouvelle syntaxe qui, débarrassée des mots, n’aurait gardé que le rythme. Une langue pure qui s’incarnerait dans un corps dont les yeux seuls, translucides et ensorcelants, sont encore capables de crier lorsque tout s’apaise.
Sati Veyrunes porte à elle seule l’énergie de ce cri. Un cri monstrueux, un cri silencieux, un cri de rage. La danseuse est Méduse aux yeux perçants dont les cheveux déliés prennent vie ; elle est la Sirène au corps ondulant dont l’appel, pour ceux qui savent l’entendre, est envoûtant, elle est le corps désarticulé du pantin ébranlé et maltraité, l’ombre flottante d’un corps traversant les ténèbres fuligineuses et que l’on devine à travers les épaisses couches de fumée. Elle nous transmet, comme une offrande providentielle, le cri de tous ces êtres. Et son corps dévoilé, laissant entrevoir la chair et les palpitations du cœur, devient alors la sublime allégorie d’un cri qui retrouve sa forme primaire et originelle et qui, déchirant les entrailles de la terre, nous fait plonger avec lui dans des enfers troubles et inquiétants.
La danseuse et son chorégraphe nous lancent leur cri en pleine face. Œdipe s’est crevé les yeux face à l’horreur, mais il pouvait encore entendre. Ne soyons pas comme Œdipe : ouvrons grands les yeux et, entendant ce cri, inventons de nouveaux cris.