© Pierre Planchenault

Dans un écrin épuré, où seuls deux îlots faits de bâtons de bois suffisent à signifier la terre d’origine et la terre d’accueil, un marionnettiste fait danser une ombre incarnée. Ou plutôt un corps absenté. Ou bien encore, un charnel « spectre de l’absent », selon la formule – déjà – abyssale de Hugo.  

Là est l’intelligence de cette construction marionnettique de Renaud Herbin, qui creuse vertigineusement ce paradoxe qu’est l’incarnation de l’absence. Il y a quelque chose d’une familière étrangeté, impossible à déterminer, dans ce squelette malléable à taille humaine, « vêtu » d’une matière laineuse mais cendreuse. Cette peau quasi oxymorique dirait le vide qui pétrit l’exilé, voire, quelque part, le tient. Corps un peu et pourtant tout entier résidu de ce qu’il a laissé là-bas, de ce qui revient, hantise douce, dans l’écho nostalgique diffusé par l’oud de Grégory Dargent. La marionnette est alors l’incarnation absolue de ce qui n’est plus, une sorte de tautologie qui la renverrait presque à la seule présence anthropomorphique, cherchant obstinément l’ancrage.

Le visage à la gravité pudique de Renaud Herbin répond à celui, manquant, de son autre, dé-figuré. Le lyrisme de ce « je » errant dans les limbes, entre le pays quitté et le pays pas encore sien, est alors confié à la voix extradiégétique de Sir Alice, porteuse d’un texte par instants trop explicite au regard de ce qui se poétise entre l’animateur et sa création. Fascinant est ce corps-à-(quasi-)corps, où le soin devient une urgence implicite, où l’ajustement permanent vaut pour fluidité, entre la fusion, qui prévient de la chute, et la distance plus marquée, vers une autonomie de l’objet, signe de renaissance à soi. Dans ce ballet virtuose, l’animation de la matière marionnettique est organique, le souffle lui est donné par le toucher d’une peau. Et puis surgit une deuxième marionnette, contraste saisissant de la première (si ce n’est une même absence de visage), en proportions, en matières, en maniement. Sa taille miniature et la distanciation produite par l’usage de fils – articulés avec une délicate dextérité par son animateur – redoublent ainsi l’éloignement qu’elle suggère, sorte de paradis perdu, néanmoins vecteur d’espoir.

Si ces deux approches de la marionnette sont antithétiques techniquement et nuancées dramaturgiquement, elles paraissent porteuses d’une même transcendance. Sans rien alourdir, émerge et se déploie, dans et par le tissage de ces interactions où se panse l’autre, une sorte de pensée de la relation, qui aurait l’attention pour essence. Elle serait ce troisième corps, présence absente elle aussi, qui danse dans le silence des mouvements de chaque couple.