
© Pierre Planchenault
Le slash du titre fait d’emblée coexister, voire fusionner deux univers apparemment oxymoriques, un jardin d’Éden et le club de strip-tease. Chacun porteur d’une certaine idée du sublime, tous deux sont ici liés par le même élan révolutionnaire, celui de refonder un monde avec la fluidité des genres et des identités pour (anti-)structure. Pourtant, cet acte aussi performatif soit-il, n’est paradoxalement pas auto-suffisant, et ne peut s’accomplir sans une certaine confirmation par une altérité – la nôtre –, et c’est ce qui fait toute l’audacieuse justesse de ce « jardin-club », constamment « dé-clôturé ».
Car au sein de cet espace double, dont l’enjeu commun est le corps qu’on (se) façonne, c’est la qualité de notre regard que la danseuse et performeuse trans Ève Magot mettrait en tension et amènerait – sans jamais imposer – à repenser, à réajuster en permanence.
Certes, une certaine érotisation du rapport scène/salle se suggérerait par nombre de pores scéniques – des intimistes lumières chaudes, parfois tamisées, aux tentures et voiles transparents suspendus, auxquels répond la tunique de l’artiste. Pourtant, ce n’est pas à cette seule relation-là que se cantonne la pièce, ce que travaille et déploie une dynamique dramaturgique en particulier. Au gré d’une danse tout en esquisses, le corps se glisse derrière ces tissus, ondule, s’enroule, se déroule. Le jeu de montré-caché s’enrichit d’une forme d’« activation », des tissus d’une part – ceux-ci étant souvent étirés, pétris –, et du corps lui-même d’autre part, grâce aux ballets de lumières qui élargissent, agrandissent ou amenuisent son ombre, mâtinant ainsi nettement l’érotique, de-ci d’angoisse, de-là de burlesque. Se déjouerait, par ces doubles gestes de déformation, toute objectivation venue d’un regard cherchant à enserrer ce qui se refuse à lui, au profit d’une émancipation vers une jouissance ludique, complice, à s’éprouver multiple, insaisissable.
Puis, la danseuse finit par quitter l’ombre pour la pleine lumière, se dé-voile, à nu ou presque, à l’avant-scène. Plus de substrat érotique dans cette exposition, affirmée, qui retourne la vulnérabilité en force d’existence, de présence. Celle qui « perd la boule à force de perdre la face », nous confiait-t-elle de sa poésie qui creuse son sillon par des paronomases et diffracte ses branches par des syllepses, retrouve ici l’une et l’autre. Dans ce face-à-face. En suscitant un regard défigé, concerné, motivé par un désir rendu à son essentielle signification d’élan vers. D’ailleurs, cette icône intranquille se tient sur un socle amovible – bien sûr –, mais dont la giration n’est permise que par l’intervention d’un.e spectateur.ice. Le mouvement d’un monde n’est actif, ne peut s’épanouir qu’à plusieurs. Ainsi de cette apogée, cohérente : l’invitation faite par l’artiste à rejoindre le plateau en un slow collectif, comme on peuplerait une terre. Une tendre ponctuation qui n’est pourtant pas un point pour cette forme qui, dans une mise en abyme de son propos tenue jusqu’au (non-)bout, refuse toute borne. Au contraire, c’est une virgule, une respiration, pour recommencer, et résister.