Le vrai est un moment du faux

Spongebabe in L.A (4 Love & Anxiety)

© Maladita

Pop star à la dérive, errant entre salles combles et solitude inspirée, Mercedes Dassy performe le cool avec une distance critique jubilatoire dans « Spongebabe in L.A ».

À la fois ultra-sexualisée, full résille et visage fardé, et ultra-infantilisée (son cocon tout blanc a tout d’une chambre de pré-ado), Spongebabe n’est qu’un stéréotype de plus, détruite de l’intérieur en-deçà de son image parfaite. Pas question de révéler qu’elle est mère, mieux vaut évacuer son lait par des pompes usinières ; pas question d’afficher la moindre émotion négative, sauf si c’est pour intégrer ses pleurs à une bande-son mélancolique. Coup de bol, rien n’est plus cool que la mélancolie (« Je bois de l’Oasis pour parer à ma détresse », chante-t-elle dans une lumière verte obsédante) : bref, voilà une figure décadente idéale, moteur et victime du système qui la broie et l’entretient, pseudo-punk et inoffensive.

Certes, on n’a pas attendu  « Spongebabe in L.A » pour critiquer les ravages contemporains du star system, consubstantiels de toute industrie cinématographique ou musicale ; sauf que Mercedes Dassy l’assaisonne d’une nonchalance absolument décisive (la même qu’on avait aimé dans son premier solo, « I-CLIT »). Pas pour des raisons psychologiques, mais parce qu’elle est une magnifique porte d’entrée vers le méta : en fait, Spongebabe est sans cesse mise en crise par le regard que le spectateur pose sur elle. Un nouveau monde dramaturgique s’ouvre où on peut, entre autres, briser un moment d’introspection : plein-feux soudain, Spongebabe/Dassy profère un premier « Ça va Marseille ? », puis un autre au ralenti ; est-ce encore la fiction ? Cette permanence du méta jette un trouble fondamental sur le vrai : pour preuve, la scène de composition se fait livre enfantin à la main, avec une inspiration bien trop naturelle pour qu’elle ne se moque pas de nous… Autrement dit, la nonchalance crée une suspicion vis-à-vis de tout ce qui est vu, exactement comme dans le star system : dans Spongebabe in LA, le vrai est un moment du faux.

Pour autant, l’idole pop cherche quand même à se libérer de ses chaînes réifiantes : rigide et à la limite du popping dans la première scène, elle s’assouplit, se fluidifie petit à petit, jusqu’à un point de non-retour ; Spongebabe sent une autre force l’habiter, elle a comme un grillon dans le ventre. Simple ondulation de ventre, et un reflet aquatique sur son visage : la pop star se transforme, elle n’est plus une créature de l’industrie, mais une créature sauvage. Est-ce une énième transformation pour le plaisir des fans ou bien une réelle émancipation ? Si cette dernière partie est moins radicale (probablement parce que la transfiguration animale est tellement dans l’air du temps qu’elle est plus difficilement opérante) et que la scénographie reste au fond assez proprette pour l’esthétique post-punk de Dassy, pour le reste « Spongebabe in L.A » est non seulement d’une grande finesse narrative à la lisière du méta, mais aussi d’une virtuosité de tous les endroits : les scènes chorégraphiques, théâtrales, performatives et chantées, dont la nonchalance force d’autant plus l’admiration, se fondent habilement dans un épaisse réflexion sur la désagrégation intérieure des stars comme métonymie du contemporain.