Loin du « Macbeth » très intérieur de Silvia Costa créé l’an passé à la Comédie Française, où la métaphysique du monde renversé shakespearien était un puissant facteur d’empathie pour se relier à la morale malade du couple meurtrier, celui du Munstrum préfère le grand spectacle épique en trois planes dimensions.
Grande guerre, grosse farce et glaciale tragédie de l’innocence perdue (soulevée par la vision d’un futur peut-être meilleur) : les trois faces de l’œuvre ne sont plus articulées mais juxtaposées à la suite par une dramaturgie moins plurielle qu’aux habitudes du Munstrum. Toujours singulières mais plus prévisibles – parce que déjà beaucoup fréquentées, ou bien parce qu’elles sont ici plus imposées que reliées aux mouvements du drame – les images elles-même paraissent trop définir et réduire les signes chaotiques constellés par Shakespeare ; nous attendons davantage que Macbeth glisse son couteau dans le laser diffractant plutôt qu’il sonde verbalement son gouffre, et sommes plus hanté·e·s par cette chambre blanche cauchemardesque qui se dilate que par la scène primitive qui s’y joue. Voilà aussi ce qui advient lorsqu’on met les trois sorcières au placard, ces bonnes vieilles Parques remerciées ici le temps d’une rapide voix-off et qui n’hantent plus du tout le drame : « Macbeth » est rendu à son arc narratif ; tout semble alors à la fois plus limpide mais aussi plus délié et asséché.
Car ce retour aux assises matérielles de l’œuvre comme denrée théâtrale (son réalisme guerrier, sa dissection prétendument acérée des sphères du pouvoir) fait en fait à « Macbeth » un léger procès d’intention : chez Shakespeare, les rouages et la machine infernale ne sont pas dramaturgiquement le substrat mais la conséquence d’une tragédie plus vaste et beaucoup moins raisonnée ; ils sont moins le discours que la maléfique énergie du drame, et ce chaudron d’épouvante perd beaucoup à être séquencé en démonstration idéologique. Ici, le mal et la barbarie politique se donnent en spectacle mais jamais à éprouver intérieurement. Les images quêtent l’inouïe et la surprise mais l’expérience spectatorielle est paradoxalement raisonnable et stable : le cynisme magique du Munstrum, créatif et généreux, est ici limité en complexité et en immoralité. Grande est par ailleurs l’ironie finale lorsque le fou de service parle d’un drame insensé et inutile : fait-il référence à tout ce sang absurdement versé ou au show munstrumien lui-même ? À ce « Makbeth » dignement dantesque et grand-guignolesque, mais qui propose aux âmes une noirceur si référencée et usitée, par le grotesque in fine pédagogique et faussement transgressif de la plupart des théâtres du pouvoir, qu’elle est sans lendemains cauchemardesques et politiques.