À vif

Mon amour fou

(c) Sébastien Godefroy

(c) Sébastien Godefroy

 

Le noir se fait, la comédienne, émue, vient saluer, des larmes sur le visage. Des bravos fusent, le spectacle a plu.

D’où vient, alors, cette gêne qu’on a ressentie tout au long de la représentation ?

Roxane Kasperski incarne une jeune femme au lendemain de sa rupture avec un homme bipolaire, son compagnon durant plusieurs années. Seule au milieu d’une scène jonchée de détritus, elle profère, apostrophe, raconte sur un mode elliptique : les premières crises, de brèves accalmies, les autres qui lui répètent de partir, la folie, son amour pour lui.

La performance est là. Engagement physique, texte difficile et violent, fatigue et émotion en avant. La mise en scène et le jeu épousent sans sourciller l’écriture « à vif », ne prennent aucune distance avec elle. Le spectacle semble en permanence se vouloir « coup de poing », prétendre qu’on est « dans la vie ».

« Mon amour fou » est idéal pour ceux qui aiment les incarnations totales, naturalistes et enfiévrées. Or, on peut ne pas souhaiter être placé dans la position de témoin d’une démonstration quasi exhibitionniste du désespoir ; ne pas aimer qu’on nous raconte une histoire douloureuse par une imitation de douleur refabriquée sur un plateau. Trop souvent, le spectacle, un brin poseur dans sa volonté d’être brutal et étouffant, se complaît dans les poncifs (les cigarettes, l’instant « Casta Diva », les soudains passages à l’anglais, à grand renfort de « Fuck » rageurs…). Apparaissent parfois de bienvenus chemins de traverse : on pense, notamment, à certaines drôleries du texte, et à ce joli moment où des images d’« Un homme et une femme » sont projetées sur le ventre du personnage. Comédienne et metteur en scène semblent alors trouver, ensemble, des moyens plus amples de transmettre leur émotion. On les préfère de loin à cet « à vif » autoproclamé qui ne nous touche pas.