C’est la Mate qu’elle préfère

La Mate

La Mate

© Laurent Schneegans

Ce n’était pas gagné : l’autofiction naturaliste et psychologisante, au théâtre comme en littérature, m’emmerde. Depuis Proust, le genre s’effiloche en une longue descente dans l’abîme crépusculaire de l’ennui. Qu’est-ce que j’en ai à foutre, moi, d’une bonne femme que je ne connais pas et qui vient pendant 1 h 10 raconter les tremblements parkinsoniens de sa grand-mère ou décrire la moustache d’une vendeuse de crêpes bretonne ?

Et pourtant… Flore Lefebvre des Noëttes nous cloue sur son lit de souvenirs. Saisis par les oreilles, on écoute. Dans la famille des seuls en scène du théâtre contemporain, les rejetons se déclinent à l’infini : les intellos chic, les péroraisons burlesques, les chants désespérés… « La Mate » se refuse à se laisser embrigader. La comédienne débarque sur scène sans artifice. Elle est posée là, simplement, pour partager un moment d’intimité biographique.

Sorte de paradoxe, car elle est une meute à elle toute seule. La meute de la Mate, sa mère à la fois réelle et fictionnelle, et des madeleines de l’enfance. Dans la chapelle voûtée des Halles, elle égrène le chapelet des souvenirs : singulière fratrie, certes, mais qui au-delà des sables de Pornic et du paternel maniaco-dépressif résonne dans toutes les directions. Dans la nôtre, assurément.

C’est que Flore Lefebvre des Noëttes est drôle. Le mot est faible. Son texte (publié aux Solitaires intempestifs) est d’une poésie pétillante et barrée. Qui eût cru qu’une comédienne ferait rire en agitant des clochettes sous ses aisselles et en dansant sur « Les Neiges du Kilimandjaro » ? Sa langue, savoureuse, jamais vulgaire ou impudique, se déploie dans la truculence. Elle s’appuie sur une gestuelle précise et efficace.

« La Mate » est une leçon de théâtre et de vie, non pas assenée dans l’emphase ou la douleur, mais délivrée avec générosité et humour.