La daronne du bled, un comique ordinaire

Amou Tati, la dame de fer

Amou Tati

D.R.

Les mères africaines des comédies en France se ressemblent toutes. Le lieu de l’intrigue, la France : elles sont nounous, femmes de chambre et entretiennent une marmaille. Le lieu de l’intrigue, le bled (expression diasporique dans lequel le mépris le dispute à l’ignorance) : elles vendent sur des marchés, elles sont l’unique source de revenus d’une famille également nombreuse. Elles lisent aussi la Bible à longueur de journée. Malgré leur courage au travail, elles disent à leurs filles de se trouver un bon parti, blanc de préférence. Convoquer Frantz Fanon ici serait aussi indécent que d’employer un missile à tête chercheuse pour abattre une bicyclette. Passons sur la mère qui enseigne la vénalité à ses filles. À sa décharge, elle en a quatre, et sa vie ne semble pas être des plus reposantes. Cette vieille image du spectacle de Tatiana Rojo m’a littéralement assommée. À l’inverse, les quatre filles ne semblent pas donner du grain à moudre à leur mère. C’est le rapport distendu entre la mère, ses aspirations et ses filles qui confère au spectacle une respectable épaisseur. Moins perdues que leur mère, elles suivent des parcours personnels, n’hésitant pas à se tourner vers des chemins très inattendus : danseuse étoile ou chanteuse lyrique.

Pendant près de deux heures, Tatiana Rojo assure avec une présence physique extraordinaire les cinq rôles. Elle enchaîne des gags, des quiproquos, des imitations d’accents, bref un comique ordinaire qui emporte le public. Je n’ai pas vraiment de goût pour cet humour, mais je ne le trouve guère mauvais. En revanche, je ne supporte plus les danses dans tous ces spectacles estampillés « Afrique ». Le coupé-décalé m’incommode autant que les blagues sur les caractéristiques physiques. J’ai eu quelques éclats de rire sur les blagues de littéraire, le Sénégalais de Château-Rouge déclarant sa flamme à l’aide de « Femme noire », de Senghor. Il me semble que Tatiana Rojo est une actrice à suivre.