Delacroix et la bannière

El Syndrome

Sergio Boris

D.R.

La proposition était alléchante. Au bord du Tigre, près de Buenos Aires, de jeunes Français étudiants en théâtre sont atteints d’un mal mystérieux qui les cloue dans une bicoque au cœur de la jungle. Travaillant sur une matière improvisée, à mi-chemin entre deux cultures, Sergio Boris possède sur son plateau le cadre propice à l’éclosion dramatique : l’enfermement volontaire, le huis clos tropical…

Mais sa fable survivaliste moderne, robinsonnade autour de l’acculturation et de l’hybridation linguistique, est une mascarade informe. C’est le pire que peut donner à voir le théâtre contemporain : une mise en scène repliée sur elle-même, des comédiens empêtrés dans des directions contradictoires, aporiques, insouciants du reste du monde, simples répétiteurs d’une dramaturgie stylée mais lésineuse. Cruelle absence de vision, de cheminement intérieur, de poésie !

Je me suis assoupi, je crois. Lorsque je relève la tête vers la scène, je vois un sein nu, au-dessus duquel des bouches entonnent en canon la litanie grotesque de l’« Adios Delacroix ». Je reste pour voir jusqu’où tient la mascarade subventionnée de ce « théâtre d’ambassade » : je ne doute pas qu’elle serve à renforcer les liens franco-argentins.

Au milieu du spectacle, une rumeur a secoué le rang des spectateurs de l’autre côté de la travée : un homme bouscule la rangée pour s’en extraire et s’avance tranquillement vers la sortie. C’est l’ouvreur de brèche : assis à côté de moi, un jeune comédien russe du Gitis (Conservatoire de Moscou), pour la première fois à Avignon, me chuchote à l’oreille : « Do you think it is OK if I leave now? » Je lui dis qu’il ne doit surtout pas se gêner. Le quatrième mur est opaque, et il y a peu de chances que les acteurs s’aperçoivent de la disparition du public.