Les fourmis ôtent leur carapace

OTTOF

(c) Margot Valeur

(c) Margot Valeur

Au Centre Pompidou, la chorégraphe Bouchra Ouizguen et ses quatre danseuses nous invitent à passer de l’ombre à la lumière dans un voyage onirique et libre.

C’est d’abord un dos, recouvert de tissu, sorti du public et qui vient lentement s’enraciner au centre du plateau en une danse quasi immobile. On dirait que les mouvements, ceux des bras qui s’étirent doucement, du bassin qui se désaxe, se prolongent dans le sol, au-delà du plancher, et que le corps présent n’est que la partie émergée d’un arbre. Puis c’est le regard qui frappe quand la tête finit par nous faire face. Le regard d’une vieille femme, yeux maquillés, écarquillés, qui nous perce, comme la musique aiguisée de Witold Lutoslawski au même moment. Nous pensons être spectateurs, mais c’est elle qui nous scrute. Trois autres figures font ainsi leur apparition sur la scène, les unes après les autres, ondulant lentement, les mains semblant s’adresser au mur. Une supplication ? Toujours est-il que lorsque la chorégraphe elle-même met le pied sur le plateau, avec valise, baskets, anorak, semblant descendre de l’avion, ces fantômes peu à peu se disloquent, abandonnent leur étrange rituel ainsi qu’une partie de leurs vêtements, finissant par hurler comme pour chasser de leur corps l’état de torpeur formelle dans lequel ils étaient. Après cette ouverture assez haletante s’enchaînent une série de séquences plus solaires, dans lesquelles ce chœur dansant de femmes se met en activité : la marche, le récit d’amour ou de malchance, le chant ou encore l’ivresse de se donner le tournis ; magnifique écoute de la voix de Nina Simone qui peu à peu gagne les corps, comme par un désir irrépressible ; jusqu’au finale, qui nous invite à continuer de porter le feu.

 

OTTOF – Bouchra Ouizguen

Quel plaisir de voir ainsi une troupe de danseuses défendre un parcours à la fois choral et personnel, capables de mettre la salle dans une tension extrême par un formalisme inquiétant, tout en se laissant aller aux gestes les plus débridés quand il s’agit de parler de l’amour qui déborde et avale tout. La force de la chorégraphe-metteur en scène marocaine, c’est de traiter l’héritage culturel comme une vraie matière artistique, et donc de ne jamais céder à la tentation de l’exotisme. Bouchra Ouizguen nous invite à faire ce travail de fourmi (ottof signifie « fourmi » en langue berbère) : à partir d’une image figée, contextuelle, celle de quatre femmes marocaines en habits traditionnels, mettre au jour une à une les couches qui les composent et découvrir ainsi ce qui fait la beauté et la richesse de leur nature.s