Le kitch combiné à la grâce

Un Poyo Rojo

Un Poyo Rojo (c) Paola Evelina

“Un Poyo Rojo” (c) Paola Evelina

Voilà un spectacle qu’on aimerait pouvoir recommander sans avoir à s’en expliquer, afin de préserver le plaisir d’y aller les mains vides et de se laisser surprendre. Deux hommes, un vestiaire, de la sueur, de la testostérone, un rapport de force qui s’instaure, et voilà, la matière du spectacle est là, déployant toute l’ambivalence des relations conflictuelles, entre violence et désir. Le principe conducteur de cette pièce d’une heure à peine et qui passe comme un flash est le mimétisme (deux types forment un duo de doubles symétriques, miroirs l’un de l’autre), ce qui pourra faire penser au « désir mimétique » du philosophe avignonnais René Girard ou aux théories lacaniennes du désir (on dit que tous les Argentins sont lacaniens).

Mais nul besoin d’explications : le langage corporel des deux danseurs-acteurs dit tout. Et c’est bien de langage corporel qu’il s’agit : le show se définit comme du teatro físico, « théâtre corporel ». Une théâtralité du corps en mouvement, sans parole, sans musique, où tout est dans le geste et où tout est geste, du moindre haussement de sourcil à la plus légère extension d’index. Une expressivité du corps à la fois subtile et outrée, minutieusement chorégraphiée et entièrement comique. Le résultat est une alliance rare du grotesque et du sublime dans une forme exigeante quoique modeste. Le kitch combiné à la grâce. On y trouve un mélange de farce, pantomime, gag, impro théâtrale, burlesque, danse contemporaine, hip-hop battle et acrobatie. Tous les codes de la masculinité sont passés à la moulinette, du combat de coq à la drag(ue)-queen, en jouant sur la réversibilité masculin/féminin. Moment jouissif d’impro au gré des émissions radio défilant en direct, révélant la virtuosité d’Alfonso Barón et Luciano Rosso.

Seul regret : la mise au point au moment du salut, qui remet de la norme là où l’on savourait la suspension des conventions et des certitudes… Mais n’en disons pas plus, allez voir.