La ronde d’ennui

La Ronde de nuit

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Alors qu’en 1969 Patrick Modiano loupait de peu l’attribution du prix Goncourt avec « La Ronde de nuit », il est probable qu’en 2015 Jean-François Matignon ne remportera pas de prix non plus avec l’adaptation qu’il en fait au théâtre des Carmes. Thomas Rousselot fait tout, pourtant, et ce n’est pas évident, car dans ce texte peut-être plus encore que dans les autres romans de Modiano la musicalité est infiniment exigeante et difficile. Comme toujours pourtant, la mémoire, la guerre et Paris sont au cœur de l’histoire de cet homme, collaborateur engagé dans la Résistance. Comme toujours aussi, la langue est précise et le projet de l’auteur interpelle par cette sensibilité qui parfois le mène à l’absurde. Autrement dit, « La Ronde de nuit » se situe au cœur des lubies de Patrick Modiano, à savoir « capter des fragments du passé » pour mieux contrer le mouvement naturel des choses qui veut qu’on ne se rappelle rien ni personne, « à cause de cette couche, de cette masse d’oubli qui recouvre tout ». Mais ici, à Avignon, on n’entend pas cela. Tout est brouillé et plus rien ne subsiste de l’immense beauté du texte de Modiano, qui se trouve recouvert d’une couche d’effets et de factualités inutiles. Du choix de cette musique larmoyante à la scénographie faussement allégorique mais réellement illustrative, tout est pensé pour ancrer le texte là où il ne devrait surtout pas être : la réalité. D’un projet nuageux, poétique et mystérieux, Jean-François Matignon fait une simple histoire, et c’est terrible. C’est terrible parce que Modiano ne réside pas dans ses histoires mais plutôt dans son projet. Dans l’idée qu’il se fait du rôle de la littérature et de la place des hommes. Alors, si ce n’est déjà fait, lisez. Lisez Modiano et écoutez-le parler. Que jamais nous ne puissions oublier l’infinie sensibilité qui est la sienne.