Messe pour une éternité nucléaire

Jamais assez

Jamais Assez - (c) Christophe Raynaud de Lage / Festival d'Avignon

Jamais Assez – (c) Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon

Sur le papier, le travail de Fabrice Lambert paraît bien compliqué : « La réflexion sur le progrès technique, la vitesse, l’accident intégral (Paul Virilio), le concept de corps sans organe (Deleuze et Guattari) traversent ses pièces. » Ce seraient des « expériences de perception où font bloc pensée, énergie et matière ». Il s’agit aussi de se saisir du mythe de Prométhée, en évoquant le site d’enfouissement de déchets nucléaires d’Onkalo, en Finlande, censé résister cent mille années. Le film de Michael Madsen,« Into Eternity », qui traite le sujet, est d’ailleurs projeté aujourd’hui à l’Utopia.

Sur le plateau, c’est beaucoup plus simple et c’est joli. Les rideaux s’ouvrent lentement et, dans un rectangle de lumière fantomatique soigneusement réglée, apparaissent, presque imperceptibles, les corps mêlés de dix jeunes gens – cinq filles, cinq garçons – qui roulent lentement sur eux-mêmes, suggérant un tellurisme mystérieux. Par une succession de séquences, Fabrice Lambert livre une partition délicate, transformant chacun de ses danseurs en Prométhée moderne. En voix off, les paroles du film de Madsen prennent ici une force poétique certaine. Philippe Gladieux, aux lumières, par des effets superbement maîtrisés, décompose au sol les ombres des interprètes. Un canon projette des cercles de fumée. On entend l’« Orphée » de Liszt, un quatuor à cordes de Beethoven, les « Jardins japonais » de Saariaho et, lorsque la musique est suspendue un temps, le halètement des danseurs qui reprennent leur souffle. Au final, ceux-ci recouvrent la scène d’un immense sac poubelle, accompagnés d’un morceau punk.

On n’est pas complètement transporté, à vrai dire : cela manque d’émotion et les mouvements de groupe sont parfois un peu kitsch ou appliqués (le ruban de Möbius). Mais cela se regarde sans ennui ni déplaisir. En bonne logique, le public applaudit chaleureusement un spectacle de qualité.