Ne pleure pas Anna !

Femme non rééducable. Mémorandum théâtral sur Anna Politkovskaïa

D.R.

D.R.

Le dossier du spectacle opère à juste titre un rapprochement entre Anna Politkovskaïa et les légendaires héroïnes tragiques. Il y a de la tragédie dans le geste professionnel de cette journaliste qui se sait condamnée mais ne renonce pas. Elle tient autant d’Antigone bravant courageusement tous les interdits que de Cassandre prédisant vainement les catastrophes humanitaires en Tchétchénie ou la totalitarisation d’un régime à Moscou. Vue ainsi, elle n’est pas un personnage, mais une « figure » au sens deleuzien du terme. Ce qui veut dire qu’elle est une force, une énergie qui travaille le personnage représenté et régule le texte. Dès lors, Anna Politkovskaïa n’existe plus, il ne reste d’elle que cette non-présence. Une énergie qui tire sa source des mythes fondateurs. L’histoire d’Anna Politkovskaïa, c’est une version moderne de David et Goliath ; les récits en Tchétchénie sont simplement orphiques. Anna Politkovskaïa avait atteint l’intemporel. Elle ne parlait plus de la Russie, elle n’enquêtait pas sur les guerres, les exactions ou les violations des droits de l’homme. Elle observait, les yeux fixes et secs, la partie obscure de l’âme humaine et en traçait un fidèle portrait.

Il faut autant de courage pour regarder la corruption de l’âme que pour la mettre en scène. Vincent Franchi en est malheureusement dépourvu. Une Anna trop pleurnicharde ne nous mène pas vers cette grande vibration. Pire, la diction excessive, le pathos emprunté d’Amine Adjina nous en a éloignés. Et quant à la vidéo, l’on peut dire qu’elle est digne de tous maux. Elle vient définitivement limiter la portée symbolique de ce spectacle, ce mémorandum théâtral sur Anna Politkovskaïa. Parfois, comme c’est le cas ici, la vidéo fait penser à cette machine, réalité extérieure, qui dénature la tragédie. Cela est un autre débat.