Les bobos se font la malle

Ils tentèrent de fuir

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Ce serait l’adaptation sur scène du cultissime « Les Choses » de Perec. Ce serait un couple de trentenaires, prisonnier de l’âge consumériste, qui raconterait l’impossibilité de concilier la liberté et le bonheur. Ce serait non pas une chronique désuète des années 19360, mais une critique acerbe de nos sociétés contemporaines. Car ce serait actuel, sans aucun doute : les références créeraient une connivence immédiate et joviale avec le public avignonnais, avec son mode de vie hipster rive droite, ses rites de consommation, son capital culturel, ses unes de « Libé » et ses petites citations de Baudrillard (un spectacle parfait pour le théâtre du Rond-Point).

Malheureusement, la pièce tombe, malgré elle, dans le piège de la représentation qu’elle dénonce. El Boubsi et Olender ont souscrit à l’échec volontaire du roman de transformer le réel : plutôt que de creuser en profondeur, ils ont préféré s’en tenir aux procédés formels, accumuler les couches de métathéâtre en faisant des allers-retours plus ou moins heureux entre les comédiens et leurs personnages, en une alternance de monologues un peu faiblards.

C’est dommage, car il y a d’heureuses fulgurances (notamment toute la première séquence), une mise en scène efficace et une énergie généreuse. Mais le projet manque cruellement de parti pris, de poésie, de radicalité. Du pavé dans la mare capitaliste du roman en 1965, il ne reste finalement pas grand-chose, si ce n’est le souvenir de notre plaisir d’ancien lecteur. « Tu es assis et tu ne veux qu’attendre, attendre seulement jusqu’à ce qu’il n’y ait plus rien », écrivait Perec dans « Un homme qui dort » : si l’on reste esclave, c’est qu’il n’y a pas eu de tentative de fuite.