Chute sans filet

Les Damnés

© Christophe Raynaud de Lage

© Christophe Raynaud de Lage

Si Ivo van Hove voulait « célébrer le Mal », il n’aurait pas mieux fait : « Ceux qui chercheront refuge dans la neutralité seront les perdants de la partie. » Voilà les mots cinglants que lance l’arriviste Friedrich Bruckmann (Guillaume Gallienne) et qui, au-delà de ce qu’ils représentent dans l’économie de l’œuvre, résonnent tels un manifeste artistique implacable.

Le rituel mis en place repose à la fois sur des évidences symboliques et sur une herméneutique frustrante, qui fait que la lecture du spectacle résiste – du moins au début – à l’œil et à l’intellect. Le dispositif scénique est très – trop – lourd, fourmillant à chaque instant d’éléments nouveaux et dynamiques. Captations vidéo en live et rediffusions, musiciens bougeant sur scène et en coulisse, bruitages assourdissants – sans parler du jeu des comédiens eux-mêmes, etc. : il y a de quoi se perdre. Ivo van Hove joue certes sur l’idée d’un spectacle total, sans limites définies, trouvant même une certaine jouissance à nous montrer l’envers du décor. Mais, d’autre part, il construit un rythme tout en ruptures, fait d’événements violents qui scandent un rituel funeste.

Le scénario de Visconti dessinait une « chute » ; son retraitement scénique met un point d’honneur à souligner l’effroyable mal qui ronge l’ensemble de l’œuvre. Les cautions du Bien ne peuvent prétendre rivaliser : même Herbert Thallman – magnifiquement interprété par Loïc Corbery – doit fuir puis se résigner à mourir. Il n’est plus question de savoir ce qui peut être sauvé : il faut juste en finir, rentrer un à un les morts-vivants dans leurs cercueils déjà disposés. En se dépouillant progressivement de ses acteurs, la pièce semble alors gagner en netteté et en puissance. Martin von Essenbeck (Christophe Montenez) transcende la scène, se métamorphosant en figure anté-christique du « Surhomme » fou, tirant sur le public.

Au milieu de tout cela, certains clichés du théâtre contemporain ont encore la vie dure : corps nus, que l’on recouvre de cendre, de sang, de goudron et de plumes. S’ils ne sont pas dénués de sens ni d’intérêt, le problème, c’est qu’on n’en est jamais tout à fait sûrs.