Le documentaire mis à mort

(c) Bea Borgers

(c) Bea Borgers

Réfractaire à l’évacuation de son village à la suite de la catastrophe de Tchernobyl, un vieux couple vit désormais dans une solitude absolue. C’est l’existence finissante de cet homme et de cette femme que le film documentaire nous donne à voir grâce à un dispositif a priori singulier qui ne consiste plus à insérer de la vidéo à la scène, mais à scénographier un film. Le dispositif se compose ainsi d’un large écran au-dessous duquel trois maquettes d’une même ferme sont placées, filmées par deux caméras

Dès son commencement, le film irrite par les bruits angoissants d’un travelling avant en vision nocturne, adoptant les codes du film d’action pour surligner l’entrée dans une zone hostile. Après cette ouverture d’un spectaculaire qui ne sied guère à la dignité du sujet, les choix discutables et formellement indigents s’enchaînent, comme l’insertion et la surimpression en direct d’images de maquettes dans et sur la trame du documentaire. Ces impairs esthétiques ne porteraient guère à conséquence et demeureraient de l’ordre du simple mauvais film s’ils n’étaient pas accompagnés de parti pris plus dérangeants. Un exemple, omniprésent, écrasant même : l’incrustation dans les maquettes, comme de grosses fenêtres, de petits écrans diffusant les images documentaires, le tout filmé par les caméras afin de nous retransmettre l’ensemble, dans un procédé de mise en abyme, sur grand écran. Une telle lourdeur ne saurait relever que de l’afféterie, le couple devenant, pour les artistes, le prétexte et le moyen d’exercer leur omnipotence.

Se manifeste pourtant une volonté claire et mal maîtrisée d’émouvoir par le choix systématique de plans pittoresques, par le refus d’un silence sans cesse contourné par la brièveté des plans ou l’usage de la musique. Et puis il y a ce dispositif qui agit en sens contraire, qui objective et qui observe, dispositif-panoptique d’artistes entomologistes, comme si l’intention d’un humanisme mièvre était sans cesse contredite par une volonté de toute-puissance. Mais peut-être est-ce cela que l’on peut mettre au crédit du spectacle : réaliser une forme de miracle en donnant deux raisons contradictoires de le rejeter.