Être ou paraître

L'insoutenable légèreté - Les années 1980


l'insoutenable légerété

Dans la petite galerie au sous-sol du Centre Pompidou s’expose, dans une sélection réduite, la photographie des années 1980, mettant en relief tout le paradoxe esthétique et sémantique de cet art, entre observation de la société et culte du décorum.

Quatre espaces guident le visiteur -Le Lieu du décor, Pratique de classes, Duplicité de l’artifice, (Dis)paraître – faisant la part belle à la photographie européenne. Pour Karolina Ziebinska-Lewandowska, commissaire de l’exposition “L’insoutenable légèreté – Les années 1980”, il n’était pas question d’être exhaustif, d’aller d’études comparatives en diaporama complet. Il s’agissait plutôt d’explorer la scène occidentale, qui reflète les divergences économiques et sociales, les tensions de classes émergentes qui grandissent derrière une course de la liberté individuelle et le développement rapide des techniques et de la diffusion. Aussi, c’est avec un regard sans cesse prudent que les couleurs, le strass ou l’apparente légèreté d’une décennie fantaisiste sont observées : les années 80, baignant dans le doux-amer, sont en même temps porteuses d’une crise économique à venir et d’une culture média de plus en plus pop.

Dans les années 80, le décor, lieu de la surface, est omniprésent, travestissant et décalant le sujet : le tatcherisme, le sida, la crise sont sous-jacents. La photographie des années 1980, par diverses techniques qui mettent en avant le décor (collage, peinture, mise en abîme -voir “Le RVLC” de Bazilbustamante, 1984-), dilue ainsi la réalité, la rend ironique, interroge ses codes de bienséance.

Malgré mai 68, et avec le capitalisme grandissant, la question des classes sociales est omniprésente, jusqu’à la mise en scène du témoignage documentaire : l’observation, par exemple, de “Série 1 – 1988-1989” de Florence Paradeis ou, surtout, de l’excellent travail d’Agnès Bonnot (“portraits”, 1982), permet la rencontre des questionnements des artistes sur les codes et les éléments d’appartenance aux classes, aux lieux, aux époques, Bourdieu en filigrane…

La mise en scène, disions-nous plus haut : en effet, la photographie des années 80 rend presque poreuse la frontière entre documentaire/témoignage et théâtralité/installation : la troisième section, “Duplicité de l’artifice” met en avant la pratique du factice, où le réel et la fiction sont mêlés. Entre étrange et absurde, les techniques de contournement, pour mieux délivrer les questionnements des artistes, révèlent la duplicité d’une société où l’apparence est un modèle brouillant les angoisses sous-jacentes. A ce titre, arrêtez-vous devant “Radioactivecats” (1980), de Sandy Skoglund, où l’artiste photographie en même temps ses voisins et son travail de sculpture qu’elle a elle-même mis en scène dans une installation surréaliste.

Enfin, la dernière salle met l’accent sur le portrait, genre plébiscité des années 80, mais sous l’angle du camouflage. Des portraits de Grace Jones par Jean-Paul Goude (occupant un trop large espace) à ceux d’artistes plus confidentiels, la question de l’identité est toujours soulevée : la réinvention de soi, le développement d’une image de soi ou de l’autre dépassent le portrait documentaire. Il n’est nulle question d’interroger l’identité réelle, mais plutôt de témoigner de la réalité d’une époque qui tend à décaler le curseur de sa propre image. Les portraits sont travestis, fardés d’androgynie, de maquillages, de montage, d’artifices…

Ne manquez pas, dans cette dernière salle, la série d’Hergo “Mythos” (1989), donation au Musée, rassemblant une galerie de portraits de jeunes d’une vingtaine d’années, témoins d’une époque : tous dans la recherche ou l’apparence, comme des motifs fondus sur des motifs en noir et blanc. Ils sont le reflet d’une époque qui crée continuellement sa propre mythologie, déchirée entre la conscience collective et l’existence d’un soi, fût-il autre.