Fragments d’un désordre amoureux

Je t'ai rencontré quelque part

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Après « M. & Mme Rêve » et « Etre ou paraître », voici la nouvelle création du Théâtre du Corps. Depuis la fondation de leur compagnie en 2004, Marie-Claude Pietragalla et Julien Derouault ont toujours eu à cœur d’amener le public à la danse par des spectacles accessibles, sans vouloir rogner sur leur dimension poétique.

Avec « Je t’ai rencontré par hasard », le duo explore le périmètre du couple : l’avant, le pendant, et le point de rupture. Par une succession de tableaux illustrant la chronologie d’une histoire amoureuse, il en ausculte le mystère, et tente d’exprimer, par les trajectoires des corps, en quoi elle modifie l’essence de ses protagonistes.

Le projet peine malheureusement à trouver ses marques devant cette perspective aussi vaste. Les séquences épurées et symboliques soulignent parfaitement la volupté du travail chorégraphique de Pietragalla et Derouault, et leur vertigineuse intimité fusionnelle, avec notamment quelques portés célestes, et une scénographique quintessentielle : lignes blanches, lit, maison.

Malheureusement le reste se perd en choix esthétiques qui détruisent la cohérence de l’ensemble : moments théâtraux avec (mauvaise) déclamation d’extraits célèbres, sombrant dans le cliché (le rebattu « je le vis, je rougis… » de « Phèdre ») ; épisodes à la lisière du clown/mime particulièrement maladroits, censés transcrire la médiocrité de la réalité quotidienne du couple.

C’est qu’il y a une volonté trop démonstrative de « traiter » un sujet, comme en témoigne les lapalissades du dossier de présentation « Ici le couple, mis en scène dans sa simplicité, symbolise la relation d’un homme et d’une femme », et de vaines citations de Roland Barthes. Au lieu de cela, il aurait été plus avisé de laisser agir la sublimation du seul jeu d’attraction-répulsion chorégraphié des chairs amoureuses, jeu pour lequel le couple Pietragalla-Derouault est assurément au sommet de son art. Peut-être manque-t-il à ce travail un vrai regard extérieur, une mise en scène autonome qui eût assuré son tamisage, tout en essayant d’apporter plus d’originalité et de folie.

En résumé, un spectacle d’une grande beauté plastique, mais très inégal, et qui échoue à s’agréger autour d’une esthétique convaincante.