Kaddish pour les vivants

Tristesses

Tristesses © Phile Deprez

Tristesses © Phile Deprez

Sur une île désertée par le temps et les mondes, sur cette scène envahie par la réalité et les enfers contemporains : quatre maisons. Quatre maisons et autant de murs qui nous séparent de nos tristesses. Autant de toits qui protègent nos têtes cassées. Mais cassées par quoi ? Par l’hier qui s’en est allé et le demain qui fait peur. Par ce moment où la vie n’est que présent, et que celui-ci n’est rien d’autre que l’abandon de ceux qui restent par la mort de ceux qui craquent. Et c’est là que c’est intéressant. Car alors, quand elle fait ce constat, Anne-Cécile Vandalem ne peut être qu’exactement là où l’artiste doit être : au cœur de l’intersection des temps, et de ces peurs qui ne sont pourtant rien d’autre que le changement. Ce changement qui nous tétanise et nous empêche, alors même que ce n’est que de garanties que nous manquons, mais que les possibles sont infinis. Voilà pour le discours. Car, à voir sur la scène déambuler ces musiciens morts et cette caméra omnivore, c’est peu dire que cela manque d’espoir. Ici, dans ce monde que l’ultraréalisme des mots et des murs renforce, plus rien ne semble possible que d’accepter les odieux discours des fascistes et la désespérance de ceux qui s’entretuent. Seule certitude, alors : par la captation de ces images en direct, la modernité de cet art renforce son aptitude multiséculaire à nous déposer sur les rives de la résilience. Car une fois enregistrés, ces présents tristes et morts ne disparaîtront plus, et la scène, plus que toute religion, transforme le geste de l’artiste en kaddish des vivants. Pour que « ce qui a été demeure », et que nous puissions continuer, malgré tout.