© Compagnie 21

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Elle n’a pas vraiment changée, notre bonne vieille société, depuis la création du Débit de pain en 1929. Sainte économie sans tête, politique sans plus aucune justice à figure humaine. Une pesante macrostructure faite individus broyés sous la coupe d’une machine sociale irrépressible. Il y a celleux qui « montent » et celleux qui sombrent irrémédiablement « vers le bas ». En parfaite parabole, le théâtre rejoue ces terribles lois et en décortique la cruauté.

Le texte de Brecht parle de lui-même, et entre – presque trop – facilement en écho avec notre période contemporaine. C’est dans le parti pris scénique de cette œuvre difficile que réside toute la gageure, et il faut dire que la Compagnie 21 relève le défi avec talent. Si la troupe n’en est qu’à son premier coup d’essai, ce spectacle, mené avec une grande énergie, regorge de petites merveilles. Le jeu franc des acteurs-trices, très à l’écoute les uns des autres, est convaincant et prend à bras le corps les interrogations et l’esthétique propres à l’auteur allemand.

Parité sur le plateau, inégalité du sort qui frappe pourtant chacun-e sans distinction. Sylvain Guichard réussit à concilier réalisme et symbolisme ; l’intelligence de sa mise en scène permet, avec une certaine économie de moyens, de moduler à l’envie l’espace et ce qu’il met en jeu en terme de fraction sociale. On navigue ainsi tranquillement à travers l’ensemble des personnages qui naissent dans le seul port d’un vêtement. En se distinguant ainsi facilement les un-e-s des autres, les acteurs-trices mettent ainsi en relief la vanité des codes sociaux qui distinguent les forces en présence.

Dans ce petit microcosme où se rejoue le tragique d’une société aux règles vénéneuses, chacun subit. Et comment protester ? Le pain qui nourrit les bouches affamées, précieux trésor issu d’un dur labeur, peut-il devenir le pavé contestataire qui fera tomber les « géants » ? Dans ce cérémonial au ton acide, le spectateur aura le choix : engager le geste contestataire ou garder (l’insupportable) silence.