L’étrange rêve de Mr Carotte

Poil de carotte

© Silvia Boschiero

© Silvia Boschiero

C’est aux ateliers de décor, lieu de fabrique où les rêves de forme prennent matière, qu’est présentée l’adaptation du roman de Jules Renard « Poil de carotte » par Silvia Costa. Et c’est justement le parcours que la metteur en scène nous propose de faire, donner une surface tangible aux terribles fantasmes de l’enfance, ceux de l’abandon, et du désamour.

Joie de la part des enfants (et des adultes) de pénétrer dans ce petit décor assez réaliste d’une ferme, de s’asseoir sur de la paille, de sentir l’odeur du bois et de guetter les lapins qui courent dans leur cage. Comme un lièvre lui-même, Poil de carotte bondit, riant, s’adressant à nous directement, puis indirectement en accueillant Annette, la nouvelle bonne, par le biais d’une habile scène d’exposition. La violence se dessine au fil du récit du jeune homme jusqu’à ce qu’apparaisse la figure de la mère. En un coup de tonnerre le décor bascule, le drame se retranche alors derrière un « écran », comme pour mieux nous protéger des dangers de ce cauchemar, mais aussi pour laisser libre cours à une esthétique plus onirique digne des films de Tim Burton.

Plutôt que de présenter l’enfant rejeté comme un paria, Silvia Costa préfère très justement nous inviter à voir à travers ses yeux et à partager sa malédiction : être étranger au monde et à sa propre famille. Cette mécanique fonctionne à merveille ; je regrette simplement que la metteur en scène choisisse de laisser la fin trop en suspens, sans refermer le rituel par un retour à la normale ou en traitant la fin du roman. La résolution est pourtant un élément essentiel. Faire l’impasse sur l’arrivée, c’est prendre le risque de ne rien retenir du voyage.