« Quicksand » est une de ces œuvres capables de vider la moitié du balcon des Abbesses en un temps record de 30 minutes. Peut-être faut-il, pour apprécier l’œuvre, passer par une étape indispensable d’acceptation de certains renoncements. Se mettent en place les mêmes questionnements que lors de l’arrivée des abstraits en peinture. Il est nécessaire de se départir des attentes que l’on pourrait avoir quant au mouvement, à la musique, à un texte, à un décor.
Dans « Quicksand », chacun des ressorts scéniques est traité à la même enseigne et apporte les mêmes degré et qualité d’information. Le texte enregistré en voix off se présente comme une sorte de logorrhée dans laquelle le sens est loin d’être essentiel. Les phonèmes sont traités tels des rythmes qui se placent sur la tangente de la musique sans chercher l’accord musical et politique. La lumière n’assume en aucun cas une fonction d’éclairage, ni de mise en évidence ou de charge signifiante ; elle répond à une partition qui – là aussi – lui est propre. Les touches de couleur qui perdurent ou apparaissent furtivement semblent pensées comme des notes – croches, noires ou blanches. Il faut également s’abstenir de chercher du figuratif dans les corps en mouvement des interprètes, qui semblent apparaître sur scène de la même manière que la lumière des projecteurs. Leur présence n’est que présence et intervient comme une pulsation. Les mouvements de décor sont des variations et n’illustrent rien. Il n’est aucun moment où l’on sente une intention de provoquer une quelconque émotion ou interprétation : nous faisons face à une œuvre dont la plasticité est essence.
Les propositions de chacun de ces champs semblent se marier en un patchwork – à l’image d’ailleurs du tissu tendu qui domine le décor – sans interagir. La beauté de l’œuvre naît à ce croisement miraculeux, à la manière des travaux de Cunningham, Cage, Tudor et Rauschenberg à l’époque du Black Mountain College.