Sable et désert

Jaz

JazzLa crasse s’est incrustée dans la cuvette, l’une et l’autre ne font plus qu’un. La cuvette, justement, seul élément de décor sur cette scène nue, est un monticule ocre, dégoûtant comme du sang coagulé, exotique comme la terre rouge des documentaires. Non loin gît un corps de femme, une tunique dont la blancheur exacerbe les souillures ; d’un autre côté, un autre corps de femme debout, à défaut d’être suspendu, arborant le même costume.

À l’instar de ce presque vide scénique, il y a dans ce parti pris de création un choix délibéré d’ouvrir des espaces, d’en libérer le plus possible. Le pari n’est pas dénué d’intérêt pour qui connaît les textes de Koffi Kwahulé. Dense, percutante, parfois dérangeante, l’écriture du dramaturge ivoirien en impose ; elle a cette respiration rageuse d’une bête en furie, il lui faut donc de l’air. Par contre, un gros risque pour les comédiennes, qui doivent d’une part moduler l’explosivité d’un texte qui ne demande qu’à s’étendre, et d’autre part s’en approcher par petites touches, avec fermeté et délicatesse. L’espace ainsi créé est une sorte de zone de confrontation où les forces sont sans cesse redistribuées.

À ce jeu, les mots de Koffi ont pris le dessus. Les comédiennes ont livré une prestation trop proche du texte, se laissant le plus souvent entraîner par lui. Il est pourtant arrivé qu’Astrid Bayiha rétablisse un équilibre entre sa propre force et la poussée du texte, et ce fut là précisément que le spectacle gagnait en magnitude. Dans une fusion parfaite lorsque les limites s’estompent, les repères se dissolvent, et l’interprétation atteignait l’étymon de la pièce et cette dernière trouvait enfin son actrice. Mais ces gracieux moments furent brefs, la voix d’Astrid un tantinet inconstante. Peut-être devrons-nous mettre ces failles sur le compte de la première, toujours difficile à négocier, autant que le sont les perpétuels caché-dévoilés, chevauchements des personnalités, des situations, des narrations dont « Jaz » est fait.