Dans le sanctum sanctorum, une Médée à vivre avant de ne plus voir

Jaroslaw Fret, Medee

Jaroslaw Fret, Medee

Choisi comme devise de la 7e édition des Jeux olympiques du théâtre à Wroclaw, « Le monde comme un lieu pour la vérité » paraphrase le titre d’un texte de Jerzy Grotowski lu en 1976 et publié trois ans plus tard, dans lequel le fondateur du mythique Théâtre Laboratoire tente de convaincre et d’ouvrir les yeux et les pores de ses fidèles : « Nous entrons dans le monde juste pour le traverser. Nous sommes mis à l’épreuve du monde, c’est le lieu de la vérité. » Son successeur, Jaroslaw Fret, programmateur de cette édition polonaise 2016, a offert au public médusé une des plus fortes versions de « Médée ». Au cœur du temple, dans un dispositif quadrifrontal, une performeuse, l’incroyable Simona Sala, arpente l’espace encombré de portes, d’écrans et de murs en fils de fer. La vision obstruée, il faut jouer des jours pour observer cette femme qui semble se débattre avec des clés, des chaussures et des bidons d’essence. Peu de vidéo, mais, furtivement, l’œil attrape une image, extrêmement forte voire violente : un buste de femme nue qui fait du hula-hoop avec un fil barbelé. A-t-on rêvé ? Autour du plateau, trois femmes, trois hommes et un violoncelle accompagnent par leurs chants les douleurs orientales et contemporaines de l’héroïne grecque. C’est un travail sur le son et l’image où les mots sont quasi absents. Seul un poème de Dimitriadis est offert, en grec, par la femme, à bout de force après avoir assailli de coups de sacs plastique remplis d’eau, poches utérines en suspension dans l’espace, punching-ball, réceptacles de la violence et de la douleur d’une mère. Refusant la traduction (des chants et du poème), Fret n’utilise pas les mots pour leur sens mais pour leur vibration et les évocations qu’ils invitent. Cette mise en scène force à déconnecter sa raison cartésienne pour vivre cette cérémonie laïque avec une intelligence de sensations, pour laisser poindre les liens inconscients et recréer l’histoire. Le travail du spectateur est ici essentiel, éprouvant, mais après une scène finale d’anthologie chacun repart en silence, chargé de toutes ces émotions et images qui ne quittent plus les esprits ni les rêves.