Tourbillon profane

Ici ou là, maintenant ou jamais

(c) Christophe Raynaud de Lage

(c) Christophe Raynaud de Lage

Les artistes du Cheptel Aleïkoum, emmenés par Christian Lucas et Mathurin Bolze, sautent la tête la première dans la mare tranquille de la place des Célestins et nous invitent à contempler les vagues, les remous, les ronds d’eau qui en découlent sur l’espace public et en nous-mêmes.

« Ici ou là, maintenant ou jamais » est une « création in situ », c’est-à-dire un spectacle inventé uniquement pour l’événement et pensé pour le lieu où il sera représenté, en l’occurrence le théâtre des Célestins. Et quelle intelligence de le faire naître comme une rumeur qui vient de la rue ! Les circassiens du Cheptel arrivent en fanfare sur la place, installent quelques agrès, et du haut du grand mât, au mégaphone, une acrobate nous interpelle, nous invite à regarder autour de nous, ce lieu qui est le nôtre, ces gens qui sont nos semblables et la richesse qui se dégage de cette diversité.

C’est de cela que le spectacle va traiter : comment rassembler tout ce qui paraît organisé, divisé, catégorisé, réduit à son usage unique et définitif, en un tendre joyeux bazar qui constituerait notre collectivité. Ils sautent, roulent, escaladent la façade, puis nous entrons à leur suite dans le théâtre. Ils retournent tout à l’intérieur : les galeries, l’orchestre, la coupole, le plateau, les dessous, le rideau de fer… Pas un espace n’est épargné par leurs numéros. Leurs outils (leurs armes si j’ose dire) : le mouvement perpétuel, l’équilibre rompu, la musique aussi joyeuse que mélancolique, les corps dans le vide ou les uns sur les autres, une envie furieuse, urgente de faire des choses ensemble et de partager leur amour. Tout finit par un grand bal sur le parvis, et nous voilà rincés par ce tourbillon (et la pluie), mais heureux d’avoir accompli ce rite carnavalesque.

Car « Ici ou là, maintenant ou jamais » est un spectacle profane, au sens le plus noble du terme. Il nous invite à profaner ces lieux publics qu’on veut nous faire croire sacrés : la rue, les murs, cette institution culturelle qu’est le théâtre des Célestins, tout cela nous appartient. Et le Cheptel Aleïkoum vient nous rappeler avec malice que nous sommes libres d’en jouir sans entraves.