La transfiguration de l’ombre

Rencontre avec un homme hideux

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Une chaise, une carafe d’eau et un plateau nu. On pense un instant à conseiller à Rodolphe Congé d’aller faire ses lectures de Foster Wallace à la Maison de la poésie, et puis on se rend compte de son erreur. On s’immobilise. Les mots acides et drôles de l’écrivain culte américain rebondissent, font vaciller nos certitudes. Le récit dans le récit embarque le spectateur, qui peu à peu prend le rôle de cette interlocutrice silencieuse à laquelle s’adresse le narrateur joué par Congé. La phrase clé : « Elle a tout misé sur la conviction a priori ridicule que la connexion, la générosité et la compassion sont des composantes de l’âme humaine plus cruciales et primaires que la psychose et le mal. » Elle, c’est cette femme, conquête éphémère du narrateur, à qui elle raconte le drame qu’elle a vécu : un psychopathe ; un viol. Et sa transfiguration, qui est aussi celle du narrateur. La nouvelle adaptée ici par Congé est d’une intelligence hors du commun. Trop intelligente sans doute, car Dostoïevski avait raison d’affirmer que l’excès de conscience est une plaie : Foster Wallace, en bon auteur postmoderne, fait des allers-retours incessants vers le lecteur, justifie ses raisonnements, anticipe les remarques. Et c’est d’ailleurs là la force du projet de Congé, assisté par Joris Lacoste : tout cela est parfaitement théâtral. Il ne fallait rien de plus, pas d’artifices, pas de décor, seulement un jeu de lumière incisif et ces longs bips en sourdine figurant les questions de l’interlocutrice. Et nous laisser seuls avec Foster Wallace, qui à son tour nous laisse seuls avec la profondeur insondable de l’âme humaine. De quoi se prendre une bonne claque dans la gueule, surtout dans la nôtre, nous autres hommes. Mais c’est pour notre bien.