ELLEAS ET MELISANDE, Claude Debussy, Drame lyrique en cinq actes, d’apres la piece de Maurice Maeterlinck, Direction musicale Esa-Pekka Salonen, Mise en scene Katie Mitchell, Dramaturge Martin Crimp, Decors Lizzie Clachan, Costumes Chloe Lamford, Lumiere James Farncombe, Responsable des mouvements Joseph W. Alford, Chœur Cape Town Opera Chorus, Orchestre Philharmonia Orchestra, Pregenerale au GTP le 28 juin 2016. Avec : Stephane Degout (Pelleas), Barbara Hannigan (Melisande), Sylvie Brunet-Grupposo (Genevieve), Chloe Briot (Yniold) (photo by Patrick Berger/ArtComArt) Patrick Berger/ArtComArt

(photo by Patrick Berger/ArtComArt) Patrick Berger/ArtComArt

 

 

A l’issue de la première représentation de “Pelléas et Mélisande”, ce 3 juillet, vingt-cinq techniciens saluent sur le plateau du Grand Théâtre de Provence. Devant l’immense décor ils sourient sous les applaudissements. Un mouvement de décor est révélé. Une fois n’est pas coutume. Il est vrai que le décor que Katie Mitchell a conçu avec sa jeune scénographe Lizzie Clachan impressionne. Formidable machinerie théâtrale. Au moins 8 ou 9 salles différentes repartis sur deux étages, l’une chassant l’autre, masquées puis révélées par le truchement d’un tulle noir aux découpes élégantes, aux mouvement feutrés. On a essayé de les compter, de retenir, mais pris par l’émotion, on a oublié. Car Katie Mitchell nous plonge dans un rêve. Celui de Mélisande, mais aussi celui que devrait être toute production d’opéra, un tout supérieur à la somme des parties qui la composent, qu’elles soient techniques ou artistiques. Un rêve, “un trésor au fond de l’océan”.

Mélisande s’endort, jeune mariée, rêve puis se réveille. Katie Mitchell signe avec Martin Crimp une dramaturgie brillante, émotionnelle, implacable. Une immersion. S’interroger. Sur Mélisande, son identité, son moi profond. Mélisande, la princesse aux origines inconnues, celle qui se perd, que Golaud découvre en pleurs, près d’une fontaine, au fond d’une forêt. Qui est-elle ? Pour comprendre ? Rêve, inconscient, fantasme. Katie Mitchell plonge. Et nous avec. Trois actes du mystérieux et symboliste opéra de Debussy et Maeterlinck pour donner à voir une prémonition ? Une vie rêvée ? Une vie réelle étouffante dont on s’échappe ?  Les hommes sont cruels ou faibles ; les femmes rêvent d’ailleurs semble dire Mélisande. Mari, amant, maternité, famille, violence, érotisme, amour, jalousie, meurtre. Son rêve se déroule à travers autant d’univers visuels que l’opéra compte de scènes : une chambre, bourgeoise,  cette même chambre envahie d’un arbre aux branches innombrables vertes, comme le sont les chemins de l’inconscient  ; une piscine presque à vide, à l’eau stagnante, lieu de l’amour interdit ; un escalier abyssal ou céleste ; une grotte ou une pluie d’étoile.  Avec Mélisande, vêtue d’une robe rouge sang ou blanche, talons aiguilles ou pieds nus, on oscille, on vacille. Onirisme et réalisme. Joie et tristesse. Lewis Carol et Sigmund Freud. Prouesse technique et force visuelle de la scénographie, du jeu d’acteur et des lumières, fascinantes, de James Farncombe qui évoquent les photographies de Gregory Crewdson.

Le rêve de Mélisande pour un opéra rêvé. L’onirisme théâtral est soutenu par la force sensuelle et dramatique de la direction d’Esa-Pekka Salonen. A la tête de la prodigieuse phalange londonnienne, le Philharmonia Orchestra, le chef finlandais offre couleurs ambrées ou éclatantes ; force sonore ou piani infini. On y ressent les corps qui s’aiment de Pelléas et Mélisande, le couteau de Golaud, l’heureuse tristesse de Mélisande, la stature d’Arkel. Salonen, le roi d’Allemonde. Tous les mondes symbolistes de cette partition sont révélées par le chef à la gestique féline, comme autant d’inconscient derrière chaque note. Là encore, on tangue. On chavire.

Opéra de rêve, car le plateau vocal réunit sans doute les meilleurs chanteurs possibles pour l’ouvrage. Laurent Naouri, Stéphane Degout, Barbara Hannigan, Franz Josef Selig, Sylvie Brunet-Grupposo, Chloé Briot. Chacun et tous plongent dans leurs personnages, nous offrent un chant à la diction française parfaite de la plus haute tenue. Chacun et tous nous bouleversent. Un rêve, à se noyer dans la beauté.