Une histoire peut en cacher une autre

Le Relèvement de l'Occident : BlancRougeNoir

© De Koe

C’est l’histoire d’une histoire qui n’en finit pas d’être, de se redire, de commencer sans commencement. Il faut d’abord passer par l’histoire sans histoire ; celle qui s’autoféconde, tentant de se dresser avant même que les acteurs aient pu décider qui, du récit ou de l’action, la précède.

La compagnie flamande De KOE expose d’emblée les prétentions « méta » de son spectacle, qui tente d’embrasser les méandres de l’h/Histoire, depuis les souvenirs d’enfance jusqu’aux lignes récitées « à toute allure » d’un cours sur l’Occident. On aurait peur de s’y perdre, à la vue de cet enchevêtrement complexe que dessine le ballet des trois acteurs sur le plateau. Sans compter que l’infatigable bingo des lieux communs de mise en scène du théâtre contemporain est largement rempli. Et pourtant, oui, ça se tient. Ça se tient de manière assez formidable, et l’on file aisément ces quatre heures de spectacle.

Il y a tout d’abord ce talent propre aux acteurs, où flotte un grain de folie captivant. La magie d’un jeu naturel et intense, relevé par leurs accents délicieux et le miroitement des langues entre elles – le français, l’anglais, le flamand. Puis, un rythme soutenu, qui virevolte ; notamment dans la deuxième partie (« Rouge »), en une énième mise en abyme, s’appuyant sur « Jules César », de Shakespeare, son imbroglio de personnages et de situations. Et dans cette matière foisonnante, l’être humain se trouve sans cesse confronté à la dialectique du récit et de l’action : ce qui n’en finit pas de se dire et ce qui se vit sans s’écrire vraiment.

Le sens de l’autodérision de la troupe tient le tout avec une sérieuse vigueur qui secoue la salle de rires francs, spontanés. L’ascension incertaine de cette drôle de montagne métaphysique ne rebute pas, et c’est un plaisir de s’y laisser entraîner.