BOVARY texte et mise en scene Tiago Rodrigues d'apres le roman Madame Bovary de Gustave Flaubert et le Proces Flaubert traduction francaise Thomas Resendes lumieres Nuno Meira scenographie et costumes Angela Rocha avec Jacques Bonnaffe, David Geselson, Gregoire Monsaingeon, Alma Palacios et Ruth Vega-Fernandez

29 janvier 1857. Quelques mois avant Charles Baudelaire, Gustave Flaubert comparait devant la 6e chambre du tribunal correctionnel de la Seine pour “outrage à la morale publique et religieuse” suite à la publication de “Madame Bovary”. L’occasion pour Tiago Rodrigues de rejouer le procès et l’histoire de cette femme morte de n’avoir pu rêver… Une occasion manquée.

 “Vous êtes chez vous. Enfin… chez moi”. C’est par ces mots que le metteur en scène portugais débutait en janvier les représentations de “By Heart”, un des spectacles les plus émouvants de ces derniers mois. Ici aussi, dans ce “Bovary”, il suffit d’à peine quelques minutes pour comprendre que nous sommes chez lui. Tout le rappelle, à commencer par ces pages d’un texte qui recouvrent le plateau. Ce texte fondation de nos vies auquel Tiago Rodrigues consacre la sienne et contre l’oubli duquel il ne cesse de lutter à longueur de représentations. Ce texte que l’aujourd’hui insulte par le mépris qu’il lui porte et ses pas qui l’écrasent. Mais nul n’est prophète en son pays.

De l’élégante amertume nostalgique de l’artiste, peu de choses subsistent dans cette proposition, en dehors de cette belle scénographie transformiste à la légèreté profonde. Alors qu’est abordé avec sérieux ce que l’immensité de l’abîme dans lequel se trouve Emma Bovary pourrait nous dire aujourd’hui, le message est en permanence brouillé par une direction d’acteur à l’humour parfois bouffon et aux dialogues souvent bien pauvres (passons sur l’imitation grotesque d’une chèvre par Charles Bovary pendant dix bonnes minutes… qui ne produit rien d’autre que les rires gras d’un public oubliant alors la gravité du propos et l’intrinsèque subtilité de Tiago Rodrigues quand il ne s’égare pas).

A cette direction d’acteur hasardeuse vient s’ajouter en plus une question qui reste jusqu’à la fin sans réponse : qu’est-ce que le directeur du Théâtre National de Lisbonne cherche à nous dire d’Emma Bovary, de Flaubert et du procès qui lui est intenté ? Des tas de choses, bien sûr… Mais si l’imbrication des retranscriptions du procès avec l’histoire du roman est souvent intelligente et bien gérée (surtout en ce qui concerne l’alternance des rôles par les acteurs), il est pourtant difficile de dire le chemin que cette mise en scène nous permettrait de prendre.

Evidemment, le problème de ce roman n’est pas d’être immoral puisqu’il ne fait rien d’autre que de décrire l’immoralité intrinsèque du monde dans lequel vit l’auteur. Bien sûr, les lois de l’Etat ne peuvent être celles de l’Art. Forcément, ce procès est politique puisqu’il ne fait que de refuser le droit d’une bourgeoise de province à faire preuve de l’immoralité des princesses. Mais alors, quel est l’argument de cette pièce qui ne soit pas contenu dans le roman ? Qu’est-ce que Tiago Rodrigues fait d’autre que de ramer dans le sens de l’Histoire, qui dès son acquittement a reconnu à Flaubert le génie qui était le sien ? Rien. Et ce rien transforme alors cette pièce en une honnête proposition pour collégiens et adultes oublieux, mais ne permet pas de la transformer en geste artistique à part entière.

Elle ne le permet pas, et c’est bien dommage, car à la racine des mots se trouve pourtant en filigrane toute la sensibilité du geste habituel du metteur en scène, quand il fait dire au formidable Grégoire Monsaingeon ces mots qui démontrent sa croyance en la capacité des lettres à nous sortir de l’oubli : “Nous allons tous mourir, mais toi, Emma Bovary, tu continueras a vivre après les dernières pages de ce roman”.