Le chorégraphe Abou Lagraa mène depuis la fin des années 1990 un travail qui fait preuve d’un intérêt quasi équivalent pour les techniques contemporaines et les mouvements hip-hop. Son discours comme ses spectacles sont toujours très touchants en ce qu’ils traduisent sa volonté indéniablement sincère de faire se rencontrer les choses, les gens. C’est une véritable obsession intellectuelle qui se décline dans chacune de ses œuvres d’une façon évidente ou subtile. Cet acharnement artistique a quelque chose d’admirable. Les champs lexicaux du pont, de la porte, de la rencontre, du mélange, que ce soit dans ses interviews ou ses chorégraphies, font texte. On retrouve son obsession scénographique de la porte ou de cette sorte de couloir abstrait qui va du bord plateau au fond de scène.
Abou Lagraa dit de ce spectacle, « Dakhla », qu’il est un voyage chorégraphique entre Hambourg, Alger et New York. Trois villes que le chorégraphe a éprouvées. On tangue par moments entre le voyage et le tourisme. Une femme assise à côté de moi ne manque pas de souligner : « Là ça doit être Alger, il y a des tambours et ils dansent de manière plus orientale. » Dans cette remarque réside un peu, nous semble-t-il, l’écueil de ce spectacle si fidèle à son thème et à son procédé qu’il en oublie d’inventer autre chose, d’être un objet non identifiable. Lorsqu’on regarde les danseurs entrer en scène et qu’on se dit « Celle-ci doit être l’Italienne, celui-là le Libanais… », on en vient à penser que, dans la communication sur le spectacle ou même dans le discours qui imprègne le spectacle, il y a quelque chose qui nous éloigne de l’essentiel. Le spectateur consacre beaucoup trop de son énergie à pointer, confirmer ce qui visuellement selon lui fait sens avec le discours qu’il attend. Le travail d’Abou Lagraa est beau quand on oublie ce/ceux qu’il rassemble et qu’on y voit simplement autre chose.